Que des clients furieux, régulièrement à juste raison, passent leurs nerfs sur mon uniforme... passe ! Que des "habitants" de la gare, alcoolisés, canabisés ou égarés, me traitent de tous les noms... passe ! Que certains ou d'autres soient contrariés par ma simple présence, ma casquette ou mon sexe... passe toujours !!!
Aujourd'hui, venant à la rescousse de mes troupes, je me suis fait copieusement insultée gratuitement par quelqu'un qui ne va certainement pas bien, demain j'irai porter plainte, j'en suis moi-même surprise...
"On" me reproche d'être ici superficielle par rapport aux vrais métiers du chemin de fer... Le débat devra se faire, de manière furieuse de préférence, mais en attendant voici quelques anedoctes, mini-événements, instants d'incrédulité, quart d'heure de désarroi : petits riens qui ponctuent les journées du chef de gare... Petit florilège de ce week-end de Pentecôte !
Vendredi : un ça va, trois...
Train au départ moins 5 minutes : mais que fait donc cette dame énervée à ne pas monter dans le train ??? Elle semble encombrée et pourtant accompagnée mais ne se décide pas, elle va le rater ! Bonne samaritaine le chef de gare se renseigne : elle attend sa belle-mère qui doit voyager avec elle, une amie l'ayant assisté jusque là. Bien, installons-la toujours dans la première voiture à proximité et vous vous chargerez de la jolie maman si elle échoue sur le quai après le départ... Et vous voici à aider la voyageuse et à toucher du doigt son phénoménal problème : ce n'est pas un, ni deux mais trois bébés dans leurs transats (et une grosse valise) qu'elle transporte ! Si tôt installée sur la plate-forme, vous réalisez qu'il lui sera impossible de rejoindre ses places réservées dans une autre voiture... à moins d'abandonner au minimum un nourrisson sur les trois ! Redescente sur le quai ; au revoir le train ; en route pour le bureau d'accueil où nous pourrons passer les annonces sonores pour récupérer l'indispensable grand-mère. traversée légèrement héroïque de la foule qui compte les points au fur et à mesure de notre passage "oh le mignon tout petit bébé", "oh ce sont des jumeaux", "ooooooh mais ils sont trois !!!". Deux bras, trois enfants : bravo madame de choisir le train... !
Samedi : SOS chat perdu
Train au départ et 5 minutes déjà de retard : une voyageuse a laissé échapper son chat et celui-ci est quelque part sous un train mais lequel ??? La propriétaire éperdue court de quai en quai en appelant désespérement son greffier et suppliant qu'aucun train ne roule ! Las, la dernière fois que l'affaire s'est produite dans une gare voisine, le train a pris une heure et demie de retard car les voyageurs avaient pris fait et cause pour la bestiole et empéchaient le départ... De fait, l'animal est repéré sous un train Corail. A votre arrivée, la voyageuse est déjà à moitié engagée sous le train pour récupérer son matou alors que la procédure de départ est en route ; le temps de la maintenir sur le quai et - sous vos yeux horrifiés - les roues se mettent en branle, le chat part en furie, la maîtresse à pleurer hystériquement : une légère crainte vous étreint à la prochaine vision du chat écrabouillé... Finalement, même pas mal : les talkies walkies préviennent que le félin est reparti vers d'autres voies, indemne ! Après sévère engueulade avec l'époux et maître qui, pour sa part, menace de se mettre devant tous les trains au départ, vous arrivez à calmer le jeu, prenez les numéros de téléphone et même un sac pour contenir l'égaré si vous le retrouvez : ouuuuuuuuf ! Demain votre gare sera constellée d'affiches "chat perdu" que vous ferez semblant de ne pas voir (tant pis pour les normes de qualité !), vous espérez secrètement qu'ils retrouveront le fugueur et remerciez le ciel que l'affaire soit restée assez discrète pour que toute la gare ne se retrouve pas bloquée.
Dimanche : "ça ne demande qu'à tourner à l'émeute"
Alors que la gare est amorphe comme un dimanche en début d'après-midi, vous êtes sollicitée en urgence car une bagarre menace... A votre arrivée, elle se déclenche franchement entre une personne et deux agents de sécurité ! On se croirait dans un album d'Astérix : les poings volent en l'air, ça tape, vous ne connaissez pas ? Bienvenue ! Alors que vous réclamez à cor et à cris l'intervention de la police ferroviaire, de la Police tout court, de gens compétents quoi, les agents Sncf essayent de séparer les bélligérants, etc... Jusque là, du malheureusement banal quand - un peu tenue à l'écart tant pour vous permettre d'organiser les secours que pour vous mettre à l'abri eu égard à votre sexe faible (merci collègues) - vous réalisez que le problème n'est pas la bagarre mais ses alentours... Groupes divers, clients sortant des (petites) files d'attente, passants, un rassemblement s'organise qui prend franchement le parti de la personne violente à ce moment maîtrisée par la sécurité. En y regardant de plus près, les téléphones portables sont tous de sortie, les insultes commencent à voler, l'ambiance se dégrade franchement... Après l'arrivée des forces de l'ordre et le calme revenu doucement, vous vous inquiéterez d'une attaque de paranoïa : hélas, tous vos agents présents, la police ferroviaire et les militaires confirmeront votre sentiment : on est passé pas loin...
Lundi : certains ne manquent pas d'air !!!
A votre prise de service de journée (11h30) vous apprenez qu'une heure plus tôt un client a bousculé trois agents (expédiés dans les murs ou sur le sol tout de même) pour prendre un train... Votre petit monde est parti porter plainte, vous vous occupez donc de la paperasse, informez vos troupes du fait que les collègues vont plutôt bien et passez à autre chose. En fin de journée vous êtes appelée car le client en question, sorti de sa garde à vue, souhaite vous voir.. ????? Hum !!! Allons bon... Courageuse mais pas téméraire, vous faites appel à la présence de renforts et affrontez le problème. Stupeur et stupéfaction : l'homme vous présente son billet de train - raté par définition - en vous demandant si vous pouvez lui permettre de prendre un autre train pour rentrer chez lui (il n'a pas d'argent pour en racheter un nouveau) ! Force est de le dire : les bras vous en tombent ! Le monsieur reconnait volontiers qu'il s'est énervé le matin, qu'il sort de la Police et qu'il regrette bien tout ça mais est-ce-que bon maintenant vous ne pourriez pas, s'il vous plait, faire quelque chose ??? Un bon geste ??? Etre compréhensive ??? Ne pas lui tenir rigueur ??? Faire preuve d'un peu d'humanité ??? J'en suis encore sur le flanc...
Certaines de ces anecdotes ont pu être réparties sur 4 jours par facilité littéraire, honni soit qui mal y pense si certains envisagent qu'elles se sont succédées plus rapidement que cela...
Quand on y pense, c'est fou le nombre de sujets qui fâchent dans une gare... Comme nous ne sommes pas là uniquement pour nous faire plaisir, évoquons donc aujourd'hui le douloureux thème de l'information sur les retards : à savoir que ce n'est pas précisément ce que nous faisons de mieux mais que, encore une fois, c'est plus compliqué qu'il n'y paraît...
De l'estimation à la louche...
A votre disposition pour signaler l'infamie : le grand tableau des trains à l'arrivée (un clic de souris et paf "retard 40 minutes") ; les annonces sonores ("mesdames, messieurs, en raison des intempéries, des retards de 1 à 3 heures sont à prévoir") ; les tableaux d'information conjoncturelle (ça fait chic comme ça mais ce sont tout bêtement les panneaux à lettres rouges qui ne donnent jamais de bonnes nouvelles) ; les agents d'accueil (qu'il faudra eux-mêmes informer pour qu'ils puissent renseigner les personnes en gare). Ailleurs, au saint des saints de la Sncf, des collègues mettent à jour les informations sur le trafic du site internet infolignes. Ce ne sont donc pas les outils qui manquent. Non, non, ce qui manque cruellement c'est la durée exacte et fiable de ces fichus retards ! Malgré la technologie moderne... Les voies de chemin de fer sont parsemées de "balises" qui enregistrent le passage des trains - en les reconnaissant qui plus est - et en fournissant les minutes de retard par rapport à l'horaire théorique : jusque là vous êtes donc parfaitement au point. Le problème est que la technique ne fournit qu'un instantané et n'est pas à même de vous dire combien le train va prendre de retard. Je m'explique : sachant que le train xxxx est en panne depuis 35 minutes et que ses voyageurs vont être transbordés dans le train suivant, combien de temps sera nécessaire au transfert et combien d'heures de retard auront : 1/ les passagers du train en panne ; 2/ ceux du train de secours et 3/ les clients des trains bloqués derrière les deux premiers... Vous avez cinq minutes avant que je ne ramasse les copies ! Cela dit, l'exercice ne sera pas tout à fait le même selon l'endroit où se produisent les causes de retard...
Retards à l'arrivée
La tuile n'est pas tombée chez vous mais à l'autre bout de la ligne ou quelque part sur le trajet : peu importe vous avez le devoir, dûment inscrit dans vos objectifs annuels, de faire passer l'information dans votre gare... Compte-tenu des incertitudes exprimées ci-dessus, vous allez essayer d'afficher un retard "raisonnable" quite à revoir vos estimations à la hausse si la situation se complique. Attention, il ne s'agit pas d'y aller trop raisonnablement non plus : si vous tapez trop bas et devez augmenter le retard au fil des heures, les personnes attendant des voyageurs en gare vont le prendre de plus en plus mal et l'ambiance va franchement se gâter pour vos agents... Dans le même temps, hors de question d'être trop généreux : d'aucuns voyant qu'ils ont deux heures devant eux vont aller faire trois courses et ne seront pas là pour accueillir leurs proches si le train déboule entre temps... Il va donc falloir jongler d'autant que tous ces trains qui n'arrivent pas chez vous vont cruellement vous manquer pour tous ceux qui font des demi-tours et que, ça y est, vous devez commencer à évaluer aussi les inévitables conséquences sur les départs...
Retards au départ
Là, logiquement, le problème se pose chez vous, vous devriez donc être en mesure de savoir précisément quel retard vont prendre vos trains. Hélas... Si l'on oublie le cas des demi-tours retardés, la majorité des soucis vont être techniques : par exemple, les collègues du Matériel interviennent sur la rame et ne sont pas en mesure de vous dire combien de temps va prendre la réparation. Plusieurs écoles de chefs de gare s'affrontent alors : ceux qui vont afficher un retard le plus court possible et ceux qui vont voir plus large. La règle absolue au départ est "retard affiché, retard respecté" : le train ne partira pas - même si il est prêt - avant le délai supplémentaire que vous avez annoncé à vos clients. Dans la série qui fait désordre il n'y aurait rien de pire que de devoir expliquer à des voyageurs partis acheter un sandwich ou une revue sur la foi de vos informations que, finalement, on a pu faire partir leur train plus tôt... sans eux ! Donc, on se tient à ce que l'on a dit. Ceux à qui cela brise le coeur de retenir un train tout prêt en gare afficheront des "petits" retards avec l'inconvénient majeur de parfois devoir les augmenter de 10 minutes en 10 minutes mais l'atout de conserver tout le monde "sous le coude" (sous le panneau) ce qui facilite l'embarquement général au moment clé... Ceux qui pratiquent l'affichage de retards plus généreux facilitent un peu la vie des voyageurs qui peuvent s'octroyer plus de liberté (pause café, achats, ...) mais prennent le risque d'en perdre en route puisque moins vigilants sur l'affichage de la voie... On prendra en compte les conditions climatiques (froid de canard + pas de salle d'attente chauffée = affichages de retards permettant aux clients d'aller se réchauffer dans les cafés) et les autres trains à faire partir. En effet, le comble est que, dans les grandes gares où certaines destinations sont desservies toutes les heures, le retard d'un train va vous obliger à mettre les autres en rade : impossible d'afficher le train de 19h si celui de 18h n'est pas parti !!! Risque de prise d'assaut façon western tout à fait déplacée...
Tout ceci pour dire que, décidément, dans ce système industriel, technique et pointu du ferroviaire il est encore des sciences imprécises...
Nul n'est supposé l'ignorer, la France est au niveau rouge du plan Vigipirate destiné à protéger ses intérêts face au terrorisme international. Une fois cette platitude exprimée, il s'avère que la chose a des conséquences quotidiennes et parfois importantes pour le chef de gare. Entre la prévention, la suspicion et la levée de doute au moindre risque, les trains à l'heure sont un impératif bien discutable...
Des voyageurs informés
Les attentats à New York en 2001 mais surtout le 11 mars 2004 en gare d'Atocha à Madrid sont passés par là : la protection de tous s'appuie sur la vigilance de chacun. Difficile de passer dans une grande gare sans entendre une annonce pour rappeler que "merci de signaler tout colis ou bagage abandonné aux agents Sncf". Une fois à bord du train, les contrôleurs rappellent eux-aussi ce nouveau dogme ; ces mêmes annonces sont systématiquement complétées par la précision que "l'étiquetage des bagages est obligatoire" (les dites étiquettes étant disponibles gratuitement). Des affiches "attentifs ensemble" sont parsemées de-ci de-là sur le chemin des plus grandes transhumances : il y a bel et bien une "légère" pression sécuritaire en gare !
Des forces de l'ordre sur les dents
Militaires en treillis camouflage et fusil mitrailleur au poing, brigades de la police des transports urbains, gardiens de la paix du commissariat d'arrondissement, équipes de la gendarmerie nationale, douanes, surveillance générale (police ferroviaire) : ce n'est plus une gare, c'est une caserne ! Ces différents représentants des forces de l'ordre circulent, surveillent, vigilent à longueur d'année nos couloirs, salles des pas perdus et d'attente, plate-formes et quais : on se salue poliment entre porteurs de casquettes mais les préoccupations des uns et des autres sont aux antipodes car...
Des périmètres de sécurité en voici en voila
Entre les voyageurs, bien informés donc, qui s'en vont signaler la moindre valise égarée et les forces de l'ordre toutes à leur vigilance (et à une certaine routine ennuyeuse), les alertes vont aller croissant et multipliant ! C'est ainsi que le chef de gare vaquant paisiblement apprend qu'un périmètre de sécurité est en train de s'instaurer dans un coin ou un autre de son territoire. A vous les joies de saisir vos rouleaux de rubalise (les rubans rouge et blanc destinés à délimiter une zone) et de courir vers les lieux du crime potentiel pour essayer 1/ d'estimer et 2/ de limiter les dégats ! L'objet du délit se répartit en deux catégories : le colis suspect et le bagage abandonné. La subtile distinction tient tout simplement à la présence (ou pas) d'une étiquette sur la chose (ce qui explique par ailleurs notre acharnement à pousser les voyageurs à identifier leurs affaires). Quand étiquette il y a, n'écoutant que votre courage, vous vous approcherez de la valise ou du sac, releverez le nom du maudit propriétaire et ferez passer d'urgence des annonces en gare enjoignant "Monsieur ou Madame Xyz à venir chercher son bagage au guichet 53". Dans le meilleur des cas, l'oublieux client se présente, se fait vertement semoncé voire verbalisé par les forces de l'ordre et fin de l'histoire. Si pas d'étiquette ou pas de personne se présentant pour récupérer l'objet étiqueté, c'est parti pour le grand jeu : périmètre de sécurité élargi encore et toujours plus, appel des services de déminage, explosion... Comme chef de gare vous aurez alors commencé d'éminentes transactions diplomatiques car le risque majeur à vos yeux est le blocage complet ou une mauvaise organisation de l'évacuation de votre gare...
Négociations acharnées
Première urgence, tenter d'identifier celui des forces de l'ordre qui mène le bal. Vu le nombre d'entités sur place, vous n'êtes pas sortie de l'auberge : est-ce celui à la radio ? celui au portable ? celui au plus grand nombre de barrettes sur l'épaule ??? En général, ils sont finalement plusieurs, coopérant tant bien que mal avec leurs différents postes de commandement respectifs et ne faisant rien pour être reconnaissables... C'est bien dommage car votre souci, à vous, est d'arriver à ce que l'incontournable périmètre de sécurité ait le moins de conséquences possibles sur le bon fonctionnement de votre gare ! Fermer les deux accès principaux vers l'extérieur : noooooon !!! Boucler l'accès des quais : pas çaaaaa !!! Refouler tous les voyageurs en provenance des lignes Rer : pitiéééééé !!! Attention, il ne s'agit pas d'une imbécile obsession à faire tourner la boutique (et faire partir les trains à l'heure) mais bien de l'angoisse d'éviter les mouvements de foule, descentes sur les voies, embouteillages dans les souterrains etc... inquiétude que les forces de l'ordre estiment, de leur côté, plutôt futile comparée à un danger d'explosion de colis piégé. A chacun ses priorités mais comme, au fil des mois, vous voyez se succéder les périmètres de sécurité pour sacs de livres, de victuailles, de vêtements et autres valises inoffensives, votre sens du risque s'émousse ! Lorsque vous jouez vraiment de malchance, les militaires et consorts exigent l'arrêt des circulations : à vous d'essayer de les convaincre que la sécurité vous semblerait plutôt d'expédier vite fait les trains prêts au départ pour mettre autant de personnes à l'abri ; le plus vite possible, le plus loin possible de la gare... Hélas... Vous devrez souvent attendre l'intervention de votre supérieur, en liaison téléphonique directe avec le ministère de l'Intérieur ou des Transports, pour arriver à faire entendre votre point de vue...
Loin de moi l'idée de remettre en cause l'importance de la vigilance dans les lieux publics, plutôt le souhait que les conséquences d'un périmètre de sécurité dans un endroit où circulent plusieurs milliers de personnes soient mieux estimées, ainsi peut-être - j'abuse un peu - qu'une meilleure estimation des risques liés aux objets abandonnés (un sac transparent laissant clairement apparaitre des journaux mérite-t-il vraiment de bloquer un quai et de voir les clients descendre sur les rails ???). Il ne serait probablement pas correct de rêver d'être prévenue lors de la découverte d'un colis suspect ? Il doit être tout à fait déraisonnable d'imaginer que, jamais au grand jamais, les services de déminages ne puissent intervenir sans que les responsables de la gare n'aient eu le temps de faire passer des annonces pour prévenir le public et les agents de l'imminence d'une explosion ??? L'humeur est un tantinet aigre, désolée...
La chronique "pipole" du chef de gare : les célébrités aussi prennent le train ! Les voyages officiels n'étant plus ce qu'ils sont, la majorité des personnalités qui passent en gare le font à titre privé sans organisation particulière. Le plus souvent ce sera donc le hasard qui vous mettra en face d'une star, à moins que les indiscrétions ne fusent sur les radios de la gare ou que, beaucoup plus rarement, on ait pris la peine de vous prévenir officiellement car quelques petites perturbations sont à prévoir. Petit aperçu de ma modeste collection personnelle...
Célébrités du petit ou du grand écran
En général particulièrement discrets, ils sont pour moi l'occasion de mesurer le temps qui passe et ma crasse ignorance des nouveaux talents qui montent. En exemple, l'excitation que génère chez mes collègues le passage en gare des acteurs d'une série Tv qui se déroule dans le Sud de la France et dont j'ignore tout... A chacun son truc, je préfère chérir le souvenir du jour où l'incomparable voix de la reine Mahaut m'a figée nette ! Jeanne Moreau sur mon quai, qui me parle derrière ses lunettes noires : quel dommage d'avoir un jour décidé de ne jamais au grand jamais importuner une personne célèbre, même de mon Panthéon personnel... j'en serai quite pour l'accompagner à sa place et la saluer d'un discret "bon voyage mademoiselle" histoire de marquer le coup... Moins d'émotion pour Jacques Higelin, Jean-Claude Brialy, Yves Lecoq, David Douillet ou Jean-Claude Domenec, mais toujours la même attitude de service, genre "je n'ai rien remarqué", car tout le monde a bien le droit de prendre le train tranquille ! Le plus difficile dans l'affaire étant d'obtenir la même retenue des agents qui se laisseraient bien aller à demander des autographes... Allons, allons, on se tient !!!
Têtes couronnées et chefs d'Etat
Soyons honnêtes : point de grands monarques ou dirigeants à mon palmarès ! Pour ceux-là, le bureau des "voyages de personnalités" aurait fait le gros du travail avec les services du protocole et je n'aurai rien vu du tout... En revanche, les voyages privés des uns ou des autres mettent parfois un peu d'ambiance en gare même si nous ne sommes pas supposés fournir de prestations particulières. A côté de quelques Présidents en exercice (Gabon, Suisse et autres), j'ai un faible pour les déplacements de la famille royale marocaine. Frères ou soeurs de Mohamed VI, les princes ou princesses de la dynastie Alaouite passent régulièrement dans ma petite gare et suscitent l'enthousiasme de nombreux agents originaires du Maroc. C'est à celui qui se mettra le plus en quatre pour aider, accompagner, saluer les honorables visiteurs qui semblent touchés de cet accueil et font preuve d'une grande gentillesse... C'est un peu jour de fête et il faudrait voir à ne pas trop gacher l'ambiance. Pour le chef de gare, la tache va donc se résumer à trouver un volontaire pour prévenir les contrôleurs de la présence de gardes du corps armés dans le train : voici une demande toujours satisfaite et avec le sourire encore !
Candidats à l'élection présidentielle
On est d'actualité ou on ne l'est pas... En tant qu'agent d'une entreprise publique, je suis soumise à un certain devoir de réserve mais pour certains passages en gare j'ai la moutarde qui me monte légèrement au nez ! Loin de moi l'idée d'émettre un avis sur le fait que certaine candidate d'extrême-gauche voyage en 1ère classe, ce qui est loin d'être un secret et son droit le plus strict, d'autant plus qu'elle le fait en petite compagnie, toute tranquillité et sans aucun trouble à l'ordre public ! Non, l'objet de mon ire serait plutôt un candidat, récent ancien ministre de l'intérieur, qui trouve judicieux de partir de "ma" gare avec tambours et trompettes... Pour avoir dû subir la chose déjà deux fois ces deux derniers mois, je trouve quand même surprenant que l'action tout à fait banale de monter dans un train entraîne la présence d'une bonne quarantaine de photographes, cadreurs de télévision et journalistes de tous poils ! Lesquels, crépitant et piétinant, attirent inévitablement l'attention des voyageurs et autres personnes présentes en gare ce qui nous fabrique tout de suite un bel attroupement. Le héros de la fête (le monsieur qui va monter dans un Tgv, un truc de "ouf" quand on y pense) se retrouve donc encerclé à serrer des mains et saluer les badauds ; déjà qu'il n'avançait pas vite, il n'avance plus du tout, les minutes passent, le chef de gare commence à se demander s'il serait vraiment grave que l'ancien ministre de l'Intérieur rate son train ??? A grands coups de sifflets (et pressions énergiques sur les discrets agents de sécurité du candidat), immortalisé par les flashes et caméras, voici votre homme qui franchit la porte de la voiture (clic), passe la porte d'intercirculation (clac) et s'assoit à sa place : ouuuuuf ! Mais sur le quai, l'affaire continue car il s'agit maintenant pour les professionnels de capturer cette actualité brulante au travers de la vitre du train et de ne pas en perdre une miette... Ce ne serait pas grave s'ils ne devaient pas eux-aussi embarquer ! Mais dans leurs têtes, une bonne photo vaut bien un petit retard ??? Eh bien non ! Ils s'affoleront au dernier moment, courant à toutes jambes vers la dernière porte du train encore ouverte et empêchant le contrôleur de donner le départ dans leur élan... Les agents de quai et le chef de gare présents seront parfois obligés de pousser la presse comme dans les métros japonais pour arriver à faire rentrer tout le monde... L'honneur est presque sauf : le train ne prendra pas plus d'une ou deux minutes de retard, il vous faut avouer que vous aviez clairement précisé dès le début de l'aventure qu'il n'y aurait... aucune tolérance !
Dimanche 25 mars, réveil à 4 heures (enfin 5, selon si l'on a mis sa montre à l'heure avant ou après, bref !) pour aller jouer avec les petits trains dans ma petite gare... Sieste de 15 à 18 heures... Semaine à venir sur le même rythme : en marge du changement d'heure qui touche tout le monde, il est "des petits arrangements avec le temps" spécifiques aux cheminots en horaires décalés.
Faire rouler les trains 365 jours sur 365 et 24 h/24
Bah oui ! Pour faire tourner la baraque, rouler les trains s'entend, il faut bien du monde tout le temps ! Pour être honnête, en gare il nous faut vraiment des agents tous les jours de la semaine, mais un peu moins la nuit. Sortis des trains de nuit et de tardives destinations "banlieues" l'ambiance s'allège considérablement après 21 heures. Malgré tout quelques cheminots sont nécessaires pour superviser le nettoyage des voies - recouvertes ad libitum d'emballages, bouteilles et canettes vides, billets de trains et autres prospectus ; le nettoyage des sols - carrément plus facile sans voyageurs ; le nettoyage des rames (qu'est-ce-qu'on nettoie) ; la vérification du bon fonctionnement des installations - ascenseurs, escalators, écrans sur les quais, composteurs et autres automates ; bref ça bosse ! Il s'agit également d'être vigilants sur les trains vides qui n'arrêtent pas de circuler : retour aux ateliers pour révisions mécaniques ou arrivée en gare pour départ du lendemain, la gare est fermée mais des trains roulent encore et toujours...
En roulement ou à la réserve 365 jours sur 365 et 24 h/24
L'organisation du personnel pour couvrir tous ces jours et ces nuits est évidemment assez fine. Elle se répartit entre les agents en "roulement" (planning prévu à l'avance et répétitif sur l'année) et ceux de "réserve" (qui viennent remplacer les premiers pendant les repos, congés, maladies...). Pour revenir à nos moutons et donc au chef de gare, ses horaires sont conçus entre matinées (6h / 14h), journées (11h30 / 19h30) et soirées (16h30 / 00h30). Le rythme est habituellement le suivant en roulement : quelques matinées (entre 3 et 5 de suite), deux repos, quelques soirées (de 3 à 5), deux ou trois repos. Il y a des petits veinards qui squattent le roulement de journée et qui ne font que les 11h30/19h30, je blague, car c'est évidemment samedi et dimanche compris. L'avantage majeur est que le planning est prévu très en avance : chacun connait son programme pour les 6 mois à venir. Pour ceux de la réserve - votre servante - c'est plus aléatoire puisque, par définition, nous venons en remplacement de nos collègues. En général, je sais à peu près ce qui m'attend dans les quinze jours à venir mais après... surprise ! Sachant que le temps de travail est annualisé (débrouillez vous pour trouver ce que ça veut dire), le suspense porte surtout sur les week-end : en gros on doit avoir un samedi et un dimanche "ensemble" tous les 5 week-end mais avec l'annualisation la notion est élastique. Ainsi, j'avais été jusqu'ici plutôt gâtée mais, ces derniers temps, j'ai cumulé des séries de 6 journées de travail entrecoupées de repos qui ne comprenaient pas de week-end complets (ben tiens !) ; ça donne à peu près ça pour le dernier mois :
Lu
Ma
Me
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Ve
Sa
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Lu
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s
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(Légende : s = soirée, j = journée, m = matinée). Mea culpa, j'ai bien conscience que ce sujet à l'air un peu austère à voir comme cela mais tout cela à des conséquences très concrètes...
Savoir quel jour on est 365 jours/365 et 24 h/24
Le résultat des courses est, à titre personnel, une perte permanente de repères et un décalage horaire à l'année. Après 20 ans de travail "classique" sur le rythme 5 jours travaillés pour 2 de repos, le passage aux horaires décalés, même depuis plusieurs mois, me désoriente totalement. Point tant les horaires en eux-mêmes (grâce à une capacité de s'endormir quasiment à volonté pour laquelle je remercie à genoux ma maman, mon papa et leurs bons gènes) mais le décalage sur les jours de la semaine... je frôle l'alzheimer ! Se réveiller un jour de repos avec l'idée, logique quelque part, que l'on est un samedi matin alors que la maisonnée est déjà partie vaquer à ses occupations parce que l'on est lundi... bon ! Savoir que l'on va pouvoir faire ses démarches administratives en toute tranquillité un jeudi mais dormir toute la journée parce que l'on a finit à 4 heures du matin... on fera avec ! Enchaîner une journée (arriver au travail à 11h30) après une soirée (départ la veille à 00h30 si les trains étaient à l'heure) et avoir ainsi l'impression d'avoir dormi sur place : on s'y fait ! Partir en pleine nuit dans les rues hivernales de Paris avec les hordes de fêtards du dimanche matin en s'étonnant à chaque fois que tous ces gens soient dehors en pleine semaine... on s'habitue...
Mais m'avoir fait bosser ce dimanche 25 mars à 6 heures, en me piquant en plus une heure de sommeil, alors que c'est mon anniversaire : là je dis "la vie est trop injuste" !!!
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PS : l'organisation "horaire" décrite ici varie d'une gare à l'autre et n'a valeur que d'exemple
Parmi les grandeurs et servitudes du métier de chef de gare, on n'oubliera pas l'encadrement de troupes, plus ou moins nombreuses, qu'il faut encore et toujours encourager à se dévouer pour accueillir nos clients. Reconnaissons tout de suite que nous avons là de grands progrès à faire et fermons le ban de la langue de bois pour passer à la vraie vie : l'accueil c'est pas de la tarte !
Pour les voyageurs : le stress
Alors que prendre le train n'est tout de même plus une grande aventure au 21ème siècle, l'immense majorité des voyageurs occasionnels plonge dans un drôle d'état infantile dès le premier pas en gare... Après étude totalement empirique sans résultats significatifs de quelque sorte, je n'ai que le stress pour expliquer cette bizarre regression d'adultes qui tous les jours travaillent, conduisent une voiture, gèrent leurs comptes en banque, éduquent des enfants, bref : font des choses bien plus compliquées !!! Mais... inquiétude de devoir s'orienter dans un (grand) espace inconnu ; peur de rater le train ; raisons personnelles d'excitation ou de tristesse quand aux motifs du voyage ; besoin de faire confirmer par un humain ce que les papiers et panneaux indiquent : il faut rassurer, informer, préciser, guider, ...
Pour les agents : la routine
A l'opposé, le cheminot est, par définition, comme chez lui dans sa gare. Il en connait les moindres recoins et raccourcis (passez par la cour extérieure vous irez plus vite), les équipements (n'allez pas par là, l'ascenseur est en panne), les pièges (attention c'est la voie C pas la voie G), les astuces (vous trouverez des chariots à bagages à la file d'attente des taxis), etc... Allez comprendre pourquoi ils s'inquiètent tous comme ça les clients ??? Par ailleurs, les questions sont quasiment identiques d'un voyageur à un autre ou alors un peu... brouillées par l'angoisse : "à quelle heure part le train de 15h ?" ou "la voie A c'est celle avec un panneau A ???" ; amusant mais interdit de sourire ou de galéger. Sans oublier que, pressés d'attraper leur train, les voyageurs ont la facheuse tendance d'oublier de dire bonjour ou merci, ce qui tend à contrarier l'agent à qui l'on demande d'appliquer le célèbre SBAM (sourire, bonjour, au revoir, merci)...
Légèrement stressés d'un côté, légèrement blasés de l'autre : on ne part pas sur les meilleures bases...
A chacun son truc et sa vision personnelle du summum de sa profession, pour moi créer de toutes pièces un train supplémentaire reste un "must"... Evidemment, cela ne se fait pas tous les jours et il faut de sérieuses raisons pour en arriver là. L'on citera en exemple l'affluence de voyageurs ou, rarissime, la vente de billets pour un train qui n'existe pas (!) avec, dans les deux cas, une cohorte de clients en règle qui veulent partir et pour lesquels il va falloir faire quelque chose dans les deux heures à venir ! Alors que le moindre train est en général prévu de longs mois à l'avance, le chef de gare va pouvoir exprimer là toute sa créativité pour peu qu'il ait du goût pour les casse-tête...
Trouver un train
Pour plus de facilité nous retiendrons l'exemple d'un Tgv (pour les trains classiques prévoir deux fois plus de travail sachant qu'il faut trouver des voitures ET une locomotive). Votre gare est pleine de rames, le chantier (garage) à proximité aussi, il suffit donc de mettre la main sur un train - propre de préférence - qui n'a rien de prévu dans les heures qui viennent. Bien. Prévoir que ses toilettes aient été vidées moins de 72 heures auparavant (délai incompressible de vidange des cuves). Jouable. S'assurer que son kilométrage lui permet de couvrir le parcours que vous envisagez avant son retour à l'atelier (comme les voitures, les trains ont des visites obligatoires tous les x xxx kilomètres). Ca peut se faire. Si toutes ces conditions sont remplies, vérifier que la date limite (les visites obligatoires sont basées soit sur le kilométrage, soit en nombre de jours eh eh) est encore bonne... Voilà. Trouver un conducteur pour amener la rame en gare si elle était au garage : ça c'est fait !
Mettre la main sur un conducteur
Malgré le nombre hallucinant de cheminots (humour), le conducteur de train est une denrée rare. Enfin, entendons-nous bien : le conducteur disponible car leur planning est soigneusement préparé à l'avance (aller-retour, repos, ...). Vous avez toutefois une "réserve" à disposition : un conducteur qui est précisément programmé pour rester à disposition toute la journée et partir au pied levé si besoin. Pour peu qu'il connaisse la ligne de chemin de fer sur laquelle vous voulez envoyer votre train supplémentaire vous avez gagné. Sinon, il va falloir chercher l'oiseau rare soit un "mécano" n'ayant pas de voyage prévu, n'ayant pas dépassé son nombre d'heures de service (11h maximum en gros) par jour et habilité à circuler là où vous voulez l'expédier (car les conducteurs doivent non seulement connaître le matériel mais également les spécificités de la voie et des installations). Allez, c'est votre jour de chance, passons à l'étape suivante !
Compléter avec les contrôleurs
Eh oui... pas de contrôleur, pas de Tgv ! Non point pour aller vérifier les billets des voyageurs et éventuellement verbaliser mais pour assurer la sécurité des voyageurs, sa première mission ! En cas de pépin sur la ligne, de panne, de malaise d'un voyageur, d'accident, ... c'est le contrôleur qui interviendra ; donc : trouver un contrôleur (en cas de Duplex, Tgv à deux étages, deux contrôleurs, c'est comme ça...). Même motif et même punition que pour les conducteurs : ils doivent être disponibles, ne pas avoir dépasser un certain nombre d'heures de travail, connaître le matériel et les lignes... Si vous n'arrivez pas à trouver votre bonheur, vous pouvez toujours faire appel à des cadres "habilités" pour accompagner votre train : pas très bien vu mais efficace.
Demander la permission et un horaire
Attention, nous ne sommes pas dans le politiquement correct : il aurait fallu commencer par là ! Mais l'expérience prouve que vous serez mieux reçue en proposant votre joli train au complet (matériel, conducteur, contrôleur) alors vous appelez les instances supérieures pour faire votre offre de train "prêt à partir" et là... il va falloir attendre que l'on trouve une petite place pour le faire rouler. Sur certaines lignes à grande vitesse, les trains se succèdent à 3 minutes les uns des autres aux heures de pointe : difficile d'en insérer un à la "va comme je te pousse". Cela demande quelques études et calculs : les hommes de l'art s'y attellent. L'exercice sortant un peu tout le monde de sa routine, on vous trouve en général un horaire ainsi que - top du top - un numéro de train (puisqu'il n'existait pas il faut bien lui en attribuer un).
Voilà... le temps que tout cela se retrouve en gare, que l'on pancarte le train (affichage des numéros de voitures et de la destination), qu'on l'affiche sur le tableau des départs et votre "bébé" sera devenu un train normal à faire partir à l'heure inventée pour lui... La pression va retomber mais quelle bonne journée : un train ça ne s'invente pas comme ça et vous n'êtes pas à moitié fière d'avoir réussi ce coup-là !
La tendance ferroviaire en France est de plus en plus aux trains à réservation obligatoire (Tgv et Téoz) dont le principal atout commercial est de garantir une place assise à chaque voyageur. Théorie séduisante que la réalité s'acharne malheureusement à contrarier car dans la pratique, le chef de gare doit régulièrement arbitrer la répartition des places que ce soit pour deux clients se présentant pour le même siège ou, plus aventureux, pour un train au grand complet.
Au cas par cas : "même pas mal" !
Pour bien comprendre la relative décontraction du cheminot face au problème, quotidien, de deux voyageurs se disputant la même place il faut - comme lui - être bien convaincu que la "double-réservation" n'existe pas ! Quoiqu'on puisse lire à gauche ou à droite et malgré les rumeurs relayées sur le sujet : vendre deux fois une même place de train est im-po-ssible !!! Et dans les cas, rarissimes, où deux clients sont bel et bien en possession d'un billet identique c'est tout simplement que l'un des deux n'est pas en règle (et je me garderais bien d'aller plus loin pour ne pas susciter de vocations...). Cela dit et bien dit, l'affaire se dégonfle donc d'elle-même à la lecture attentive du billet qui révèle soit une erreur de voiture dans le train, d'horaire de train ou, très souvent, une erreur de date. L'histoire n'allant pas plus loin, je saisis l'occasion pour vous conseiller de lire le délicieux texte commis sur ce point par un fidèle voyageur...
Replacer tout un Tgv : "allo maman bobo" !
La (mini) catastrophe se présente essentiellement sur les Tgv qui ont été construits au fur et à mesure du développement des lignes à grande vitesse et qui donc, d'une génération sur l'autre, ne comprennent pas le même nombre de voitures, de places et, évidemment pour le Duplex, d'étages. Le moindre changement de matériel est donc susceptible de perturber la bonne installation des voyageurs. Deux grandes familles de migraine à disposition...
"On" s'est trompé lors de la vente des billets : les voyageurs sont en possession de billets pour un type de train et l'on sait déjà que cela ne sera pas celui-ci qui roulera. Moindre mal ! Les services compétents (si, si !) vont éditer des "listes de reclassement" : le chef de gare - reconnaissant - aura ainsi à disposition, voiture par voiture, la liste des reports de places. Le contrôleur lui-aussi reçoit normalement le précieux document, par mesure de prudence vous irez le voir sur le quai pour vérifier qu'il est au courant (c'est que ça se balade beaucoup les contrôleurs) puis vous partagerez avec lui la joie de réorienter les clients et voila l'affaire dans le sac !
Beaucoup plus douloureux, le Tgv qui arrive en gare n'est pas du modèle que l'on attendait.. ! Quelques noms d'oiseaux volent... Il n'empèche qu'il va bien falloir gérer le souci : dans un premier temps, se jeter sur l'ordinateur pour avoir une idée du nombre de voyageurs attendus sur ce train et vérifier que le nouveau matériel comprend suffisamment de places. A peu près en même temps (l'heure tourne et le défi consiste à malgré tout faire partir le train à l'heure selon votre obsession personnelle), faire le compte des troupes disponibles car c'est ce qui va définir la tactique. Bonne pioche : vous avez à disposition les agents de "l'accueil-embarquement" (chronique à venir) que vous allez recruter sans scrupules. En les disposant à chaque porte du train avec un plan de la voiture ils pourront replacer les voyageurs au fur et à mesure (on coche les places prises et quand la voiture est pleine on renvoit vers la suivante, simple et efficace). Mauvaise pioche : vous n'avez pas assez d'agents pour l'opération précédente et il va falloir gérer la chose par des annonces sonores sur le quai ce qui, d'expérience, n'est pas la panacée pour gérer plusieurs centaines de personnes... Dans tous les cas de figure, vous avez (encore) couru rejoindre le ou les contrôleurs qui viennent eux-aussi de découvrir la surprise de dernière minute et qui attendent de pied ferme vos solutions. L'option "annonces sonores" vous vaudra peut être un accueil frisquet mais tout le monde va remonter les manches et s'y coller !
L'immense majorité des replacements de dernière minute se passe bien, les voyageurs craignent avant tout de rester sur le quai et vos propositions de nouvelle place sont plutôt les bienvenues ; évidemment vous ne pouvez pas garantir le sens de la marche ni le placement côte à côte ; cela vous vaut quelques récriminations ... justifiées ! Et si vraiment cela chauffe trop fort, vous avez une arme secrête : proposer à vos clients de les replacer à la place de leur choix dans le train suivant ce qui suffit en général à calmer les ardeurs. On jettera un voile pudique sur les périodes de grands départs où tous les trains sont complets et le replacement impossible : à chaque jour suffit sa peine !
Dans chef de gare, prenons "gare" : espace muni des quais adéquats où des voyageurs arrivent et partent dans diverses machines ferroviaires, achètent des titres de transport et autres denrées, boivent un café, lisent un journal et, comme n'importe où ailleurs, tombent, se cognent, se blessent, ont des malaises, meurent parfois...
Des chutes en cascade
Quotidiennes et plus ou moins sanglantes, on en compte environ deux tiers en gare pour un tiers dans les trains (statistiques personnelles totalement empiriques). Sur la terre ferme, on n'attirera jamais assez l'attention des voyageurs sur les risques encourus à se lancer dans un sprint pour attraper son train sans se méfier du quai glissant ; à prendre les escalators avec de nombreuses valises ne demandant qu'à verser ; à baguenauder le nez au vent alors que d'aucuns sèment leurs bagages comme autant d'embuches ! Dans les trains, les grands classiques consistent à rater la descente sur le quai, à tomber dans l'allée (wanted : bagages mal rangés) et à se louper dans les escaliers dans les Tgv Duplex... Quoiqu'il en soit, les radios vont crépiter, les pompiers vont être appelés et le chef de gare se précipitera constater les dégats et apporter son soutien moral. Oserai-je avouer qu'une chute dans le train est un tantinet plus préoccupante pour le cheminot car elle risque de retarder le départ ??? Malheureusement... oui ! A savoir que les premières idées qui fusent dans votre tête sont alors : "la personne va-t-elle pouvoir partir ? Sera-t-elle en état d'être descendue du train où faudra-t-il la soigner sur place ? Allons-nous devoir attendre longtemps l'intervention des services d'urgence ?" De la difficile cohabitation de la compassion et de la ponctualité... Cerise sur le gâteau, quand le blessé aura été pris en charge, que vous aurez laborieusement rédigé le "rapport d'accident de personne" et que tout sera rentré dans l'ordre, vous aurez encore à faire venir le nettoyage pour les éventuelles taches de sang sur le quai ou dans le train (pour éviter une nouvelle chute ? Non, je plaisante) !
Crises et syncopes
Diabète, épilepsie, hypoglycémie, claustrophobie : on tourne de l'oeil facilement dans votre gare ! Le souci : la personne inconsciente est bien en peine de vous dire ce qui lui arrive... Radios, pompiers, chef de gare, la même procédure que pour les chutes se met en place mais elle se conlut en général par une hospitalisation. Là, vous n'êtes pas d'une grande utilité, les pompiers connaissent les accès à la gare, déploient leur brancard et s'évacuent rapidement : une affaire rondement menée. Maglré tout, le chef de gare ne peut s'empêcher de ruminer un peu sur deux-trois motifs habituels de malaise : les futures mamans qui s'effrondrent à leur arrivée en gare car elles ont voyagé debout tout au long de leur trajet (on imagine que d'autres voyageurs étaient assis confortablement ?) ou les voyageurs qui partent sans aucun médicament alors qu'ils connaissent leur pathologie et ses risques (avoir sa carte de diabétique sur soi mais ne pas prendre de petit-déjeuner franchement : est-ce bien raisonnable ?)...
Urgences vitales
Heureusement rarissimes ! Et ne tombant pas forcément lors de votre présence en gare : ouf ! Mais inévitables sur le long terme... Alors que vous pensez avoir affaire à un malaise "classique", les pompiers ont déjà appelé le Samu, votre salle des pas perdus se transforme en épisode de série Tv hospitalière, la foule s'amasse autour des sauveteurs : c'est mal parti ! Pour l'unique urgence vécue à titre personnel, nous avions fait appel à des agents d'accueil munis de couvertures (!) pour dresser tant bien que mal un paravent, un périmètre d'intimité, autour des urgentistes... Le chef de gare s'occupe alors essentiellement de la famille ou des accompagnants de la personne tout en réquisitionnant les forces de l'ordre pour assurer, encore une fois, un peu de tranquillité autour des manoeuvres de réanimation. Quand le malade est évacué par les secouristes, nous ne savons pas toujours s'il s'en sortira ou pas... Le pire est, bien évidemment, quand le corps reste sur place en attendant les pompes funèbres... Si, par comble, tout cela est arrivé dans un train il faudra transborder tout le monde car l'endroit doit être condamné pour la Police. Difficile à vivre dans tous les cas, que l'on ait déjà vécu cela à titre personnel ou qu'on le redoute, que l'on soit parent et voit un enfant partir sous ses yeux ou l'inverse, que ce soit la première ou la dixième fois...