Les déboires du "Strasbourg-Nice" continuant à alimenter la boîte à images et les discussions de comptoir, ne nous voilons pas la face : votre chef de gare a, elle-aussi, quelques horreurs à son actif. Des souvenirs que l'on préfère ne pas trop évoquer, des faits d'armes dont on se serait bien passé, des jours où l'on rentre chez soi révoltée et profondément humiliée. Exemple :
Acte 1 : arrêt supplémentaire
Soit les voyageurs, encore confiants, d'un Tgv Rennes-Lille. Qui se voient informés d'un arrêt imprévu dans une grande gare parisienne car leur train n'est plus en état de poursuivre sa route. Soit un chef de gare parisienne à qui l'on annonce qu'elle va recevoir un Tgv Rennes-Lille vers 23h15 sur le thème : panne mécanique, transbordement des voyageurs dans une nouvelle rame, départ, au revoir. Jusque-là rien de très particulier : il arrive hélas deux ou trois fois par an que les Tgv "province-province" finissent leur route chez vous (grâce aux merveilleuses lignes à grande vitesse qui entourent Paris) et que vous ayez à organiser la suite du voyage.
Acte 2 : préparer le transbordement
Un problème relativement simple donc. Le train en panne (non pas qu'il ne puisse plus rouler du tout mais qu'il n'ait plus la puissance pour aller vite, ou un problème de tension sur toute la rame, ou encore un dispositif de sécurité hors service) rentrera sur un quai, on vous aura mis à disposition un train en parfait état sur le quai en face, vous transborderez et hop ça repart ! Dans cette idée, le chef de gare va chercher des coffrets collation (petits repas en boîtes également nommés "Set à croquer"), les dispose dans chaque voiture du futur nouveau train, demande à son unique agent disponible de lui filer un coup de main à l'arrivée et attend...
Acte 3 : ça se gâte
Ce que l'on a un peu oublié de vous dire c'est qu'il faut impérativement que votre train reparte avant 23h30 car, en effet, des travaux sur la ligne à grande vitesse Nord ne permettront plus son passage après. Vous êtes donc sereine à attendre, ne vous inquiétant pas plus que cela d'un ultime retard à l'entrée en gare (des gens traversent les voies dans la nuit, toutes les circulations s'arrêtent). Quand le Tgv accoste à quai à 23h30 et alors que les annonces passent pour orienter les voyageurs, il est trop tard : on vous informe de ne plus transborder et de garder les clients à bord, que l'on va vous trouver des bus pour amener tout le monde à destination. Vous avez déjà pratiqué l'exercice (qui s'était bien passé), vous restez donc zen et, avec votre unique collègue, commencez à renseigner les voyageurs et contrôleurs (eh oui) sur le quai : "trop tard pour le train, attendons bus, restez au chaud, vous prévenons dès que les bus sont là, besoin eau ?, besoin manger ?, désolée, ça va s'arranger, attendons bus, pas facile nous sommes d'accord mais tout va bien se passer, désolée, attendons bus".
Acte 4 : ça ne va pas en s'arrangeant
Une heure plus tard (00h30) l'ambiance est fraiche mais encore supportable. Vous n'avez aucune information sur l'heure d'arrivée des fameux bus mais continuez à organiser l'affaire : vous avez envoyé les voyageurs à destination de Roissy attraper leur avion en participant à leurs frais de taxi, aidé ceux qui rejoignaient Marne La Vallée avec des tickets de Rer, ne restent en votre compagnie que les clients pour Arras, Haute-Picardie et Lille. Là, le niveau national qui gère votre galère vous informe n'avoir finalement que deux bus... pour Roissy, pouvant desservir Marne-la-Vallée. Vous expliquez que ces "gares" là ont été gérées mais que ce qu'il vous faut absolument ce sont les bus pour le Nord. Le collègue au téléphone est un peu dépité mais retourne au turbin. Avec votre fidèle et toujours unique adjoint, vous continuez à rassurer les troupes : "bus bientôt, rester au chaud, information très vite, désolée, pas tarder".
Acte 5 : ça ne sent pas bon du tout
A partir de 1h30 du matin, vos appels frénétiques dans toute la maison reçoivent tous le même son de cloche : c'est mal parti. Impossible de trouver des bus, décision encore en attente mais... Et vers 2h, pas assez de chambres d'hôtel sur Paris et sa région : on vous demande de garder vos clients dans leur train, jusqu'au lendemain matin où des bus (!) et des renforts viendront les accompagner en gare du Nord pour prendre le premier Tgv. Soyons clairs, nets et précis : vous craquez un peu. Rappelez à tous ceux que vous pouvez avoir au téléphone ce que l'entreprise a déjà promis (un train de secours puis des bus depuis plus de deux heures) et que vous ne vous sentez pas trop d'annoncer que finalement... rien du tout ! D'autant que personne n'a enregistré l'information mais le train en panne est notamment en panne de chauffage ! Malheureusement, on n'a pas de solutions.
Acte 6 : non c'est non !
Coup de sang et rage aidant vous trouvez le courage de proposer aux voyageurs de rentrer chez eux... en taxi. Vous prenez sur vous d'augmenter la participation de la Sncf mais sur des courses Paris-Lille il reste encore environ 40 euros à la charge de chaque personne (en prenant le taxi à 4). Vos clients, fatigués, prennent cette option et à 2h15 du matin votre gare est vide. Vous savez qu'ils ne seront pas chez eux avant encore... deux heures au minimum. Vous informez les astreintes et autres que ce n'est plus la peine d'envoyer des bus et des renforts le lendemain. Prenez votre collègue dans vos bras. Soufflez un bon coup. Détestez cette maison qui vous met dans des situations pareilles. Pensez que vous avez bien de la chance d'être dans une "grande gare" où vous avez quelques outils pour vous aider.
Non, nous ne sommes pas exemplaires tous les jours loin de là. Oui, il arrive que des situations soient gérées... très difficilement. Loin de moi l'idée de me désolidariser de mon entreprise. Mais sur les quais, pour clients et cheminots, c'est parfois dur. Très dur.
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