Seule triste certitude pour les clients qui entendent cette annonce : leur train va avoir du retard... Côté chef de gare, ce n'est pas une bonne nouvelle non plus car vous partez dans un exercice imprévisible ou il va falloir s'adapter et décider au fil de l'eau. Le début de l'affaire se déroulera toujours à peu près de la même façon : quelqu'un se sent mal dans le train, les voyageurs préviennent le contrôleur ou un agent sur le quai : on vous avise à la radio, vous envoyez les pompiers de la gare. La suite est variable...
Malaise sur un train au départ - version soft
Sur place (car vous avez bien évidemment couru voir ce qui se passe), les secouristes de la gare gèrent la situation sereinement et vous rassurent d'un petit signe de tête : tout va bien se passer. Tension, pouls, questionnaire : ils font le tour du problème mais vous avez compris que cela va s'arranger. Hypoglycémie, épilepsie, angoisse : autant de crises maîtrisables. L'intervention de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est souvent demandée par précaution : vous êtes partie pour une bonne demi-heure de retard mais tout est sous contrôle.
Malaise sur un train au départ - version middle
Le cas n'est pas dramatique car sans risque pour la vie du voyageur mais vous allez en baver quand même. Il s'agit en général de fractures, déboitements d'articulations, luxations and co qui posent juste le problème suivant : la personne n'est pas transportable. Les pompiers de Paris vont essayer d'immobiliser-consolider-calmer-atteler mais seront souvent obligés de passer à la vitesse supérieure en faisant appel au Samu. Il s'agira de suffisamment "anesthésier" le patient pour qu'il supporte d'être déplacé. Sachant que les réactions individuelles sont très différentes, vous êtes dans le noir sur la durée de l'évacuation...
Malaise sur un train au départ - version hard
Vous comprenez tout de suite que c'est (très) mal parti. Les secouristes sont en plein massage cardiaque (il arrivera souvent que ce soit un de vos agents qui ait commencé le bouche à bouche et les premiers gestes de secours, vous garderez en tête de le voir après le dénouement) ; oxygènent à tout va ; vous informent avoir déjà appelé la BSPP ; ont une tête sinistre et soucieuse ; sont bien incapables de vous donner une évaluation de l'état de la personne... Il arrive aussi que vous arriviez en pleine réanimation par le Samu prévenu , via le 112, par la famille ou un spectateur. C'est "Urgences" dans votre train.
Dans les deux derniers cas, le chef de gare va avoir un problème majeur à résoudre : obtenir de l'information. Sans déranger les sauveteurs et sans choquer les proches présents ou les autres voyageurs. Car vous devez vous organiser. Et décider de la meilleure solution pour le plus grand nombre. Alors, vous patientez poliment près des urgentistes - au premier rang, hélas, du spectacle - en attendant de pouvoir vous imposer et glisser : "bonjour, je suis le responsable de la gare, vous faites ce que vous avez à faire mais j'ai besoin de savoir quelle est la tendance, à combien de temps vous évaluez votre intervention. Je ne vous mets pas la pression, prenez tout votre temps mais donnez moi une estimation pour que je prenne les dispositions pour les centaines d'autres personnes du train".
Il vous faut aussi surveiller que des annonces passent bien sur le quai pour prévenir que "à la suite du malaise d'un voyageur le train est actuellement retenu en gare". Et faire le nécessaire auprès des contrôleurs pour qu'ils fassent suivre l'information dans le train. Demander où est la famille ou les accompagnants. Vous en rapprocher, voir s'ils ont besoin d'une présence auquel cas vous vous y collerez. Vous renseigner pour savoir si l'on pourra avoir un train de secours si jamais il fallait transborder tout le monde (au bout d'une heure d'intervention cela devient incontournable). Rappeler aux collègues du Matériel qui n'ont jamais de train disponible que si la personne décède ils n'auront pas le choix, que la rame ne partira pas (en cas de décès le train doit faire l'objet d'une procédure particulière). Faire ce rappel discrètement. Aviser si tout le monde sera transbordable ou si l'endroit où les secours sont en action empêchera certains voyageurs de sortir (c'est souvent le cas). Prévoir donc des billets sur les trains suivants pour ces clients. Continuer à s'occuper des familles.
En général, vous transborderez vos voyageurs. Qui, bien informés, ne vous tiendront pas trop rigueur du retard car "cela n'arrive pas qu'aux autres". Vous resterez sur place en attendant que la personne malade soit évacuée. Au mieux par le Samu, sans savoir si son état s'arrangera, au pire par les Pompes Funèbres. Qui arriveront toujours longtemps après. En attendant, répondre aux questions et fournir vos coordonnées à l'Officier de Police Judiciaire, à l'Identité Judiciaire, aux policiers du commissariat du quartier, aux pompiers... Ne pas oublier de réorienter les Pompes Funèbres de manière à ce qu'elles ne traversent pas toute la gare avec leur chariot ; demander à des agents de se positionner de façon à faciliter et un peu dissimuler le passage du chariot en question ; interdire toute arrivée de train sur le même quai pour permettre une bonne circulation (de la civière ou du chariot) ; se renseigner sur la destination du malade ou du corps pour aider la famille à suivre le mouvement ; penser à revoir l'agent qui a prodigué les premiers soins. Remercier tout le monde. Souffler. Pleurer parfois.
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S'il m'arrive une fracture dans ta gare, Ophise, je te supplie d'insister auprès des pompiers de Paris pour qu'ils ne m'attèlent pas (comme un cheval) mais qu'ils m'attellent (à l'aide d'éclisses) q:^)
Rédigé par : Saoul fifre | 10 avril 2009 à 16:54
Bonjour Ophise,
une question qui me trotte dans la tête depuis un moment...
Dans le métro et le RER parisiens, quand il y a un voyageur malade ça peut engendrer des heures de perturbations, autant dire énormément de personnes en retard, et je ne comprends pas pourquoi la personne malade n'est pas simplement descendue du train pour être prise en charge sur les quais (si elle est intransportable) ? Cela permettrait à l'équipe d'intervention d'avoir plus de place que dans un wagon exigu, et le trafic pourrait reprendre quasi-normalement...
Si tu vous pouvez éclairer ma lanterne, n'hésitez pas...
Rédigé par : stormette | 10 avril 2009 à 17:42
On n'est tout simplement pas certain que la personne soit transportable avant avis médical (une côte qui transperce un poumon a parfois le même effet qu'une crise d'asthme, mais le déplacement peut tuer), il y a aussi un risque que le malade panique, avec une issue fatale possible là encore... et 10000 retards ne valent pas une vie.
Rédigé par : D. | 10 avril 2009 à 21:50
J'ai eu un décès en gare l'année dernière. Avec 45 minutes de tentative de réanimation et des personnes prenant des photos avec leur portable. Je le digère toujours mal...
Rédigé par : Lee | 10 avril 2009 à 22:31
Nous habitons dans une petite gare et, il y a deux jours, le dernier TER a eu une heure de retard : deux hommes en blanc et des gendarmes en sont descendus avec des sacs... les pompes funèbres et une voiture de gendarmerie les attendaient... A cette heure avancée de la soirée, ce n'était certainement pas un promeneur, si nombreux sur cette ligne malheureusement. Ce n'était pas dans une gare mais à la sortie d'un tunnel mais le travail des agents à ce moment-là doit être particulièrement dur. Quel courage !
Rédigé par : Elodie | 10 avril 2009 à 23:13
Glups.
Voilà pourquoi j'aurais du mal à faire ton métier... C'est parfois dur à vivre.
Rédigé par : Tant-Bourrin | 11 avril 2009 à 07:32
Un bon apperçu de ce qu'on peut vivre dans les gares, ceux qui disent qu'on se la coule douce à la Seuneuceufeu devraient revoir leur copie.
Merci Ophise pour ce texte qui exprime exactement et avec les mots justes ces évènements difficiles à vivre...
Rédigé par : Maxou | 11 avril 2009 à 09:53
Mon fils est pompier bénévole, il vit souvent des moments difficiles, il en faut du courage !
Rédigé par : Andiamo | 11 avril 2009 à 10:13
dur dur.
une gare, c'est un lieu où tout arrive, absolument tout, du meilleur au pire et je me demande si on ne prie pas en cachette assez souvent pour éviter que le pire ne survienne au bout d'un quai...
je venais mettre un lien vers une vidéo rigolote mais du coup, elle tombe assez mal... (disons qu'elle part sur un truc nettement plus léger ^^)
http://www.dailymotion.com/video/x3nzjl_sncf-arriver-a-lheure-pour-prendre_fun
Rédigé par : Miss pas touche | 14 avril 2009 à 09:21
@ tous : merci de vos commentaires sur un sujet difficile...
@ Stormette : comme le dit D. on ne peut pas toujours transporter la personne. Les secours aussi préféreraient avoir plus de place pour intervenir mais une fois les premiers gestes de réanimation lancés on ne bouge plus (trop dangereux pour le patient). Se dire que l'on pourrait en bénéficier un jour est un peu facile mais souvent réconfortant..
@ SF : je ne corrige ma faute sinon ton commentaire perdrait tout son sel :) !!!
Sur ce : quelques jours de vacances... bienvenus !
Rédigé par : ophise | 15 avril 2009 à 13:16
Je passe sur le drame ou la tragédie à gérer (on meurt à toute heure et partout et heureusement qu'une ou un Ophise apporte de l'humanité dans la gestion) pour insister sur l'information voyageurs. Pour être régulièrement à Gare de Lyon depuis quelques mois, j'ai pu remarquer une nette amélioration dans les efforts faits afin de donner une information fiable qui permet de prendre son temps en patience. On peut ainsi prévoir et s'organiser pour que le temps d'attente paraisse plus court.
Rédigé par : pousse manette | 21 avril 2009 à 11:36