Voila c'était ça le projet : un potager en carrés... Non pas qu'il faille le conjuguer au passé car il va très très bien (peu de risques de sècheresse pour le moment) mais qu'il lui arrive des drôles de trucs...
En l'occurrence je ne sais pas si vous voyez bien la surface entourant ce grand projet mais je vous résume la situation : un beaucoup trop grand terrain pour des exilés, 4 carrés de 1,20 x 1,20m, soit ... (je calcule ce n'est pas mon fort) : 5,76 m2 de carrés potagers et...
Une fourmilère.
Dans le mini-carré (40cm x 40 cm) du carré de 1,20m (vous suivez ?), le meilleur, le plus exposé au soleil, celui où j'ai l'intention d'installer le pied d'aubergine que j'ai amoureusement semé et entretenu à Paris (et confié au voisin vu les conditions de développement d'un pied d'aubergine cette année entre avril et mai) :
Une fourmilière.
Alors que désherber, entretenir, soigner un potager au carré est si facile que l'on ne comprend pas pourquoi on s'en est privé pendant si longtemps, que l'on a commencé (photo ci-dessus), malgré les frimas, à semer ou planter betteraves, salades, chou-fleur (au singulier celui-là), fleurs comestibles, aromates, brocoli (idem : 1 pied)... On revient au bout de quinze jours, on se réjouit de voir tout en forme (ah non pas le basilic qui meurt par noyade), on comptabilise les réussites : les pois gourmands sont sortis au pied du tipi, il manque une salade (que le coupable se dénonce), les carottes semées sous paillis sont présentes au rendez-vous (youhou) et...
Une fourmilière.
Comme j'ai une vague réticence à zigouiller la chose avec des produits toxiques (c'est la place de l'aubergine !!! Zavez envie, vous, de mettre des produits chimiques là où vous allez planter un truc supposé donner des choses qui se mangent ?). J'ai donc vidé la moitié de la fourmilière pour mieux la déposer au pied d'un arbre (petites, petites, petites, venez par ici...) et verser du jus de citron + insérer les écorces du dit citron dans la terre... en priant pour qu'elles se barrent dans le grand jardin et pas dans le carré d'à côté...
Ahum... tant qu'à maintenir (contre monnaie sonnante et trébuchante) un blog qui précise "malheurs d'une jardinière" dans son sous-titre et faute (comme tout le monde l'aura compris) d'être encore chef de gare : parlons jardin.
Tout vient à point à qui sait attendre et j'ai eu gain de cause en l'an 2013 :
Et maintenant, ladies and gentlemen, vous avez une vague chance de pouvoir suivre les déboires d'une potagére débutante.
Pour faire tourner votre jolie gare, vous avez du pouvoir. Vous êtes le chef des agents Sncf de la gare. Qui sont, bien évidemment, importants dans le système mais, mais, mais... pas un train ne partirait à l'heure sans beaucoup d'autres intervenants. Extérieurs à l'entreprise. Qui ne dépendent pas de vous, qui doivent jouer le jeu et sur lesquels vous avez plus ou moins d'influence. Revue de détail.
Le nettoyage (des trains, des voies, de la gare)
Vos trains doivent être propres. Pour cela, la Sncf a choisi de confier le nettoyage à des entreprises privées qui viennent faire la tornade blanche dans vos rames. Les équipes sont nombreuses, constituées - pour une fois - à part égales hommes/femmes, qui attendent de pied ferme l'arrivée des trains en demi-tour pour foncer tout nettoyer. La définition de ce qu'il faut nettoyer est très stricte : sièges, tablettes, toilettes, portes, sols, ... Il vous arrive malgré tout de demander un nettoyage "succinct" (comprendre "pas d'aspirateur" : on passe dans les voitures à toute allure ramasser les bouteilles, sacs et journaux trop visibles et hop hop hop c'est bon on arrête là). Vous supprimez pafois carrément tout le nettoyage (sur des trains à moins de 2 h de Paris vous prenez le risque que les voyageurs n'auront pas trop essaimé de déchets). Il vous arrive de négocier : pas de nettoyage mais le plein en eau des toilettes. Le nettoyage est votre marge de manoeuvre : le confort de vos voyageurs ne sera pas forcément dans les normes mais ils seront partis à l'heure.
La nuit, vos voies doivent être récurées. Il n'est pas possible de les passer au peigne fin tous les jours mais vos adjoints s'occupent de la répartition quotidienne. Là-aussi, une entreprise extérieure intervient mais la sécurité de ses agents est en jeu (à nous d'interdire la circulation sur chaque voie dans laquelle il faut descendre ramasser les papiers, canettes, bouteilles, billets de trains perdus, ...). Sachez que dès que vous entendez qu'il y aura des retards pour les trains à l'arrivée dans une gare, vous pouvez parier que les voies ne seront pas été nettoyées. Plus les retards nocturnes s'accumulent, plus la saleté s'installe...
Dans les cas extrêmes, c'est la gare qui ne sera pas lavée. Le marché est encore une fois attribué à un prestataire. Si trop de personnes attendent les voyageurs en retard ou si trop de personnes doivent encore partir : vous annulerez le passage des machines qui nettoient les sols.
Dans ces trois cas, votre autorité de "commanditaire" ne sera pas remise en cause : on fera comme vous vous voudrez, cela se déduira des clauses prévues du contrat et youp la boum on aura gagné du temps ou de la souplesse !
Avitaillement
La grande majorité des Tgv propose un bar/point de restauration. Certains trains dits classiques bénéficient d'une restauration "roulante" (un chariot qui passe dans les voitures). Conséquence logique : il va falloir avitailler ces bars, ces chariots. L'organisation est dantesque : il faut prendre en compte tous les voyages que va faire la rame (qui a l'air de partir pour Lyon mais finira à Marseille avant de revenir soit - en gros - l'équivalent de 4 voyages à prévoir avec les produits correspondant aux horaires de chaque trajet). Les chariots de chargement vont et viennent, bouchent les quais, gênent les voyageurs, retardent les trains (mesures de sécurité : impossible de partir alors qu'une porte est ouverte pour le chargement du bar). Les trains à l'arrivée ne sont pas mieux servis car plusieurs prestataires interviennent parfois (il faut que le premier décharge sa marchandise pour que le deuxième mette en place la sienne) ou bien tout simplement il faut tout enlever avant que le train ne reparte au chantier. Oui mais les voies sont rares et pendant ce temps là le quai est indisponible...
Mal équipés en radios, d'esprit indépendant, parfois indifférents aux risques encourus, concentrés sur leurs obligations quoiqu'il se passe autour : ce ne sont pas vos interlocuteurs les plus faciles. Vous leur devez à la fois vos plus grosses colères (comment ça j'ai dit que l'on ne chargeait que de l'eau et des gobelets et je trouve l'homme de l'art en train de transbahuter un bar complet ?) et vos plus grandes peurs (comment ça personne ne nous a prévenu que le chargement n'était pas terminé et le train part avec une plate-forme élévatrice encore accrochée à lui et un homme en équilibre dessus ?).
Sécurité
Parfois appelés "vigiles" les agents de sécurité passent d'entreprises en entreprises, au rythme des faillites et des passations de marchés, souvent dans la même gare, avec les mêmes interlocuteurs, les mêmes problèmes. Leurs missions sont réparties - en gros - entre le fond : parcourir la gare, assurer certaines actions habituelles (être présents lors des embarquements "filtrés" comme Idtgv) et le ponctuel : intervenir en urgence lorsqu'un agent est en difficulté ou des voyageurs menacés, évacuer des indésirables, calmer une situation en attendant l'arrivée des forces de l'ordre. Soyons honnêtes : ils préfèrent l'action. Mais les années passées à arpenter la gare les uns aux côtés des autres, leurs interventions dans les coups durs et leur présence font d'eux des proches. Peu de soucis sur qui commande quoi.
Mais aussi...
Les employés des filiales de la Sncf, chargés de l'accompagnement des personnes à mobilité réduite ou du chargement des bagages des clients voyageant en groupes. Ils doivent prévenir vos services lorsqu'ils risquent d'être en retard et personne ne leur pardonne de ne pas le faire (car il n'est pas envisageable de dire : ooups pardon nous avons fermé la porte du train alors qu'une personne en fauteuil roulant était encore en train de monter) : vous ne désespérez pas qu'ils y arrivent un jour malgré leur bonne volonté. Idem pour les bagages : le chargement se passe toujours à peu près bien mais circuler avec 6 ou 7 chariots, faire demi-tour sur le quai (formellement interdit !) et soit perdre un élément qui tombe dans les voies soit heurter le train n'est pas raisonnable. Le célèbre "délit d'habitude" et la pression de l'heure qui passe sont connus, compréhensibles ?, il n'empêche que vous les avez à l'oeil.
Les organismes en partenariat avec la Sncf ne vous en réservent pas moins : qu'il s'agisse du déplacement d'animaux vivants ou de transferts d'organes humains, il ne faut pas que la logistique coince sinon personne ne sait où doivent aller les uns ou les autres. Qui ne doivent pourtant pas trainer...
On n'oubliera pas le chargement de la presse à bord (oui la province reçoit ses quotidiens nationaux aussi par le train), l'approvisionnement des commerçants en gare (matières premières, ...) ; celui des machines automatiques (bonbons, friandises, ...) ; des restaurants ; des relais presse et tabac ; l'évacuation des poubelles au fil de la journée ; des opérations promotionnelles (distribution de tracts, journaux, échantillons, ...) ; le remplacement des publicités à hauteur d'homme et en grande hauteur ; les travaux permanents pour fuites, trous, éclairage, ...
Ah non mais personne n'a dit que c'était facile ! :D
Un jour vient où vous ne savez plus... combien de morts vous avez connu.
C'est finalement assez banal et vous êtes bien loin de la réalité d''un médecin, juste un intervenant dans un lieu public qui se retrouve face à ce qui arrive de manière ordinaire dans ce type d'endroits. "Connu" n'est d'ailleurs pas le mot approprié. Vécu, subi, accompagné, suivi, géré, assisté, ...
Cela ne se fait pas trop dans la maison de parler de nos morts. Parce que nous sommes nombreux à y être confrontés. De manière plus ou moins violente. Sans hiérarchie aucune, chacun a son souvenir. D'avoir tapé. D'avoir été appelé. D'avoir ramassé. D'avoir été là. D'avoir dû organiser la suite. Au rythme de bientôt 2 suicides par jour sur le réseau français. Et sans chiffres précis sur les décès dans les trains, dans les gares.
Côté chef de gare justement, vous aimeriez vous rappeler de tous. Vous savez que vous en avez oublié. Vous faites le compte parfois de ceux dont vous vous souvenez. Tombés sur un quai ou frappés dans leur siège. Partis ensuite pour l'Institut médico-légal car légalement "morts sur la voie publique", après que vous les ayez "gardés". Car "garder le corps" fait partie du boulot. Du boulot de trop nombreux.
Et puis... la gestion de l'urgence qui ne vous appartient pas mais celle des proches présents qui vous retombe dessus car personne ne s'y colle. La mécanique policière/légale/administrative qui ne se met pas trop bien en marche et qui vous amène à avoir la famille au téléphone pour devoir préparer l'annonce d'un décès. Toutes ces responsabilités qui ne vous regarderaient pas s'il n'y avait en face des gens frappés par ce qui arrive. Toutes ces responsabilités que l'on ne vous a pas données mais que vous prenez.
Cela ne se fait pas trop dans la maison de parler de nos morts : je crois que c'est à la fois un bien et un mal. Un bien car l'on ne peux rien y changer. Un mal car cela nous tend à les prendre à notre compte comme une histoire qui ne pourrait être partagée.
Les déboires du "Strasbourg-Nice" continuant à alimenter la boîte à images et les discussions de comptoir, ne nous voilons pas la face : votre chef de gare a, elle-aussi, quelques horreurs à son actif. Des souvenirs que l'on préfère ne pas trop évoquer, des faits d'armes dont on se serait bien passé, des jours où l'on rentre chez soi révoltée et profondément humiliée. Exemple :
Acte 1 : arrêt supplémentaire
Soit les voyageurs, encore confiants, d'un Tgv Rennes-Lille. Qui se voient informés d'un arrêt imprévu dans une grande gare parisienne car leur train n'est plus en état de poursuivre sa route. Soit un chef de gare parisienne à qui l'on annonce qu'elle va recevoir un Tgv Rennes-Lille vers 23h15 sur le thème : panne mécanique, transbordement des voyageurs dans une nouvelle rame, départ, au revoir. Jusque-là rien de très particulier : il arrive hélas deux ou trois fois par an que les Tgv "province-province" finissent leur route chez vous (grâce aux merveilleuses lignes à grande vitesse qui entourent Paris) et que vous ayez à organiser la suite du voyage.
Acte 2 : préparer le transbordement
Un problème relativement simple donc. Le train en panne (non pas qu'il ne puisse plus rouler du tout mais qu'il n'ait plus la puissance pour aller vite, ou un problème de tension sur toute la rame, ou encore un dispositif de sécurité hors service) rentrera sur un quai, on vous aura mis à disposition un train en parfait état sur le quai en face, vous transborderez et hop ça repart ! Dans cette idée, le chef de gare va chercher des coffrets collation (petits repas en boîtes également nommés "Set à croquer"), les dispose dans chaque voiture du futur nouveau train, demande à son unique agent disponible de lui filer un coup de main à l'arrivée et attend...
Acte 3 : ça se gâte
Ce que l'on a un peu oublié de vous dire c'est qu'il faut impérativement que votre train reparte avant 23h30 car, en effet, des travaux sur la ligne à grande vitesse Nord ne permettront plus son passage après. Vous êtes donc sereine à attendre, ne vous inquiétant pas plus que cela d'un ultime retard à l'entrée en gare (des gens traversent les voies dans la nuit, toutes les circulations s'arrêtent). Quand le Tgv accoste à quai à 23h30 et alors que les annonces passent pour orienter les voyageurs, il est trop tard : on vous informe de ne plus transborder et de garder les clients à bord, que l'on va vous trouver des bus pour amener tout le monde à destination. Vous avez déjà pratiqué l'exercice (qui s'était bien passé), vous restez donc zen et, avec votre unique collègue, commencez à renseigner les voyageurs et contrôleurs (eh oui) sur le quai : "trop tard pour le train, attendons bus, restez au chaud, vous prévenons dès que les bus sont là, besoin eau ?, besoin manger ?, désolée, ça va s'arranger, attendons bus, pas facile nous sommes d'accord mais tout va bien se passer, désolée, attendons bus".
Acte 4 : ça ne va pas en s'arrangeant
Une heure plus tard (00h30) l'ambiance est fraiche mais encore supportable. Vous n'avez aucune information sur l'heure d'arrivée des fameux bus mais continuez à organiser l'affaire : vous avez envoyé les voyageurs à destination de Roissy attraper leur avion en participant à leurs frais de taxi, aidé ceux qui rejoignaient Marne La Vallée avec des tickets de Rer, ne restent en votre compagnie que les clients pour Arras, Haute-Picardie et Lille. Là, le niveau national qui gère votre galère vous informe n'avoir finalement que deux bus... pour Roissy, pouvant desservir Marne-la-Vallée. Vous expliquez que ces "gares" là ont été gérées mais que ce qu'il vous faut absolument ce sont les bus pour le Nord. Le collègue au téléphone est un peu dépité mais retourne au turbin. Avec votre fidèle et toujours unique adjoint, vous continuez à rassurer les troupes : "bus bientôt, rester au chaud, information très vite, désolée, pas tarder".
Acte 5 : ça ne sent pas bon du tout
A partir de 1h30 du matin, vos appels frénétiques dans toute la maison reçoivent tous le même son de cloche : c'est mal parti. Impossible de trouver des bus, décision encore en attente mais... Et vers 2h, pas assez de chambres d'hôtel sur Paris et sa région : on vous demande de garder vos clients dans leur train, jusqu'au lendemain matin où des bus (!) et des renforts viendront les accompagner en gare du Nord pour prendre le premier Tgv. Soyons clairs, nets et précis : vous craquez un peu. Rappelez à tous ceux que vous pouvez avoir au téléphone ce que l'entreprise a déjà promis (un train de secours puis des bus depuis plus de deux heures) et que vous ne vous sentez pas trop d'annoncer que finalement... rien du tout ! D'autant que personne n'a enregistré l'information mais le train en panne est notamment en panne de chauffage ! Malheureusement, on n'a pas de solutions.
Acte 6 : non c'est non !
Coup de sang et rage aidant vous trouvez le courage de proposer aux voyageurs de rentrer chez eux... en taxi. Vous prenez sur vous d'augmenter la participation de la Sncf mais sur des courses Paris-Lille il reste encore environ 40 euros à la charge de chaque personne (en prenant le taxi à 4). Vos clients, fatigués, prennent cette option et à 2h15 du matin votre gare est vide. Vous savez qu'ils ne seront pas chez eux avant encore... deux heures au minimum. Vous informez les astreintes et autres que ce n'est plus la peine d'envoyer des bus et des renforts le lendemain. Prenez votre collègue dans vos bras. Soufflez un bon coup. Détestez cette maison qui vous met dans des situations pareilles. Pensez que vous avez bien de la chance d'être dans une "grande gare" où vous avez quelques outils pour vous aider.
Non, nous ne sommes pas exemplaires tous les jours loin de là. Oui, il arrive que des situations soient gérées... très difficilement. Loin de moi l'idée de me désolidariser de mon entreprise. Mais sur les quais, pour clients et cheminots, c'est parfois dur. Très dur.