Vous êtes parfois entraînée dans une succession de "bricoles" qui vous laisse songeuse après coup.
Acte 1 : faire une bonne action
Vers 13h30, vous êtes appelée par une collègue en kiosque d'accueil qui ne voit pas quoi faire : une voyageuse lui a amené une vieille dame, un peu perdue, qui demande à rentrer chez elle. Loin. N'ayant rien d'autre sur le feu vous vous déplacez et faites la rencontre d'une charmante dame dont l'histoire est plutôt simple. Elle est venue à Paris de sa province hier (billet de train à l'appui) et voudrait maintenant regagner ses pénates. Elle est prête à payer : où est donc le problème ? En creusant un peu, il se révèle que la dame n'a pas la moindre idée de la raison pour laquelle elle est "montée à la capitale" ; qu'elle a passé la nuit à l'hôtel grâce à un taxi compatissant (???), que vraiment, vraiment, à 82 ans, elle se demande bien ce qu'elle fabrique dans votre gare. Allons bon... L'idée vous effleure de faire simple : l'accompagner au guichet pour qu'elle prenne une place sur le prochain train et hop zou terminé. Malheureusement, un vieux reste de conscience judéo-chrétienne vous complique la vie : vous voici au poste de police de la gare avec sa pièce d'identité pour vérifier dans le fichier des personnes recherchées qu'il n'y a pas, au bout de la France, une famille qui se demande où est passée grand-mère. Non, il n'y a pas. Vous en profitez pour demander à la Police si cela serait choquant de la renvoyer sans plus de formalités chez elle ? Non, rien de choquant. Méfiante et soucieuse, vous décidez malgré tout de la rapatrier certes, mais de la faire accompagner sur son train. Madame Battista comprend tout à fait ce que vous lui expliquez, vous remercie pour le billet gratuit (on ne se refait pas) que vous lui avez établi et accepte de rester sagement au bureau d'accueil avant son départ. Vos collègues ont les consignes, sa gare de destination prévenue de l'accueillir à son arrivée. Vous êtes une sainte et passez à autre chose. Il est environ 14h30.
Acte 2 : rattraper un loupé
Le temps de vous réinstaller dans votre bureau et vérifier que tout est toujours calme, téléphone, collègue, problème. Carrément plus em...bétant. Soit 4 clients voyageant ensemble dont une handicapée et son accompagnateur. Deux personnes ont des billets avec des places réservées, deux personnes ont des billets avec des "places selon disponibilité" (comprendre strapontins au mieux, debout au pire). Devinez quoi ? Ce sont la personne handicapée et son accompagnateur qui sont sans places garanties. Gloups. Le petit groupe part à 15h45 : vous avez le temps. Vous prenez la décision de faire envoyer le (petit) groupe vous attendre sur le quai de départ, foncez aux guichets, demandez au premier vendeur que vous connaissez de vous octroyer un peu de temps et hop : on va trouver 4 places, même en première, sur ce fichu train et ainsi rattraper l'erreur 1/ du système informatique qui ne prévoit pas "tarif handicapé = place réservée obligatoire", 2/ du collègue qui n'a pas vu l'incohérence et délivré les billets. Sauf que... plus de places. Même en première. Même en attendant 20 minutes avant le départ (les mystères informatiques sont ainsi faits que c'est le délai dans lequel se libèrent parfois des places). Même en réitérant la demande toutes les minutes. Ouin.
Pendant tous ces essais, un autre vendeur vous prévient qu'il appelle les pompiers car une cliente lui signale qu'elle va tourner de l'oeil. Vous ressortez pour la voir, prenez un sévère savon sur les conditions d'accès à votre gare pour les personnes malades (elle a encore beaucoup d'énergie pour quelqu'un au bord du malaise), réceptionnez les pompiers, assistez à la joute verbale qui oppose l'une aux autres ; vérifiez que vous êtes bien en face d'un cas qui vous dépasse (je constate, je ne juge pas), retournez à votre recherche de billets.
Car le temps est passé et... toujours pas de places. Vous vous précipitez sur le quai voir si les contrôleurs n'auront pas une idée. Comme il se doit, lorsque vous rejoignez vos voyageurs, c'est une petite fille qui est dans le fauteuil. Ce qui ne change rien dans l'absolu mais beaucoup quand même lorsque c'est à vous de lui dire "on va trouver une solution". Et, en effet, grâce à la bonne volonté des contrôleurs qui déplacent sans vergogne xx personnes pour arriver à libérer 4 places, tout s'arrange. Ouf. Merci encore. Il est environ 15h45.
Acte 3 : boucler la boucle
Remontant le quai vers la gare après le départ de la petite fille et de ses proches, vous échangez quelques mots avec l'agent qui surveillait le départ en queue du train et qui s'avère tracassé. Il s'est accroché avec une vieille dame qui était dans le train mais voulait descendre, n'arrivait pas à se décider, hésitait à remonter... Il a finalement laissé fermer les portes et la dame n'est pas partie. Vous commencez à le réconforter quand soudain le doute... Comment était la vieille dame ??? A quoi ressemblait-elle ??? N'aurait-elle pas eu les cheveux blancs, un manteau bleu, une valise beige à roulettes ??? Aie aie aie : Madame Battista !!! C'était bien son train, vous le réalisez ! Où est-elle ??? Vous la retrouvez un peu plus loin dans la gare : "Madame Battista ! Mais votre train ??? Vous l'avez raté ??? Mais enfin...." ! Hélas, elle est beaucoup moins bien que deux heures auparavant, vous explique "qu'ils ont fermé sa maison, qu'elle ne pourrait pas y entrer, que ce n'était pas la peine de partir" ; qu'elle est fatiguée (ben tiens, partie la veille, pas diné le soir, pas déjeuné aujourd'hui) ; que ces voix dans sa tête l'épuisent ; qu'elle en a marre. Cette fois, c'est ensemble que vous irez au poste de police. Qui va la protéger. Et si ceux qui lui parlent ne veulent pas qu'elle y aille : c'est encore mieux car la Police les fera taire. Et puis l'on pourra faire vérifier si la maison est ouverte ou pas là bas, allez on y va. A force de discuter sur le chemin, je sais qu'elle vit seule, plus de mari, pas d'enfants, mais qu'elle a une soeur en région parisienne ; sur place, elle me fait peine dans ce commissariat mais les policiers confirment le numéro de téléphone de sa soeur, arrivent à la joindre : la "petite" va venir la chercher. Au revoir Madame Battista. Il est environ 16h30.
Il y a plus de deux ans, alors que je débutais, j'écrivais déjà "ne dites pas à ma mère..." : ça se confirme...
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