Entendue lors de sa nomination, cette phrase du nouveau patron de la Sncf trotte depuis dans ma tête... Loin de m'apparaître comme un bon mot ou une profession de foi de circonstance, elle me frappe car je peux la reprendre à mon compte... Aux quatre coins de la France, sans nous connaître, de tous âges et dans des métiers différents, nous sommes des dizaines de milliers de collègues finalement atteints du même mal : "accros" au chemin de fer ! Que le virus ait été là avant l'embauche ou qu'il se soit développé au fil des années dans l'entreprise est anecdotique : mordus nous sommes... Dans le cadre de cette chronique "analytico-métaphysique" je vois plusieurs explications, personnelles, à cette passion - pour ma part - inattendue.
Un monstrueux puzzle industriel
Pierre angulaire de ce blog, l'adage "rien de plus banal que de prendre un train, rien de plus difficile pourtant à faire rouler" essaye de refléter l'énorme complexité du système ferroviaire. Combien de nouveaux présidents, de jeunes cadres chargés de "rapports d'étonnement", de parlementaires, de consultants ou d'agents frais émoulus se sont cassé les dents sur l'invraisemblable mille-feuilles d'hommes et d'organisations que représente un bon vieux train qui roule... ? On voit rapidement tout ce que l'on pourrait changer pour améliorer les choses mais toucher à un détail menace l'ensemble ; très agaçant car soit l'on est cantonné à des bricoles, soit il faut des années pour modifier un point essentiel. Etre une vieille dame de 70 ans, bâtie sur des réseaux indépendants à l'origine, vous met en 2008 à la tête de superpositions historiques de technologies et de pratiques qui ne se bousculent pas comme cela. Comme la langue arabe, "plus on apprend, plus c'est compliqué'... Et plus c'est palpitant ! Un motif d'addiction, un !
Une surprenante cohabitation de high-tech et de vieillot
A l'heure du Tgv à 320 km/h, du billet imprimé à domicile voire "dématérialisé" (sur téléphone portable), des bornes automatiques, du paiement par carte bleue à bord des trains, etc.. nous ne nous en vantons pas forcément mais le poste d'aiguillage d'une des plus grandes gares françaises date des années 40, la carte de France visualisant tous les trains qui roulent au même moment n'existe pas, les agents font eux-même le ménage de leurs locaux dans bien des endroits et nos locomotives ont parfois largement dépassé l'âge de la retraite (sans risque bien entendu). Faire fonctionner le mieux possible le "fleuron de la technologie française" sur des installations hors d'âge fait partie des paradoxes quotidiens ou l'on peut trouver de l'émulation, et de deux !
Des coûts de folie : tout est cher dans le train mon brave monsieur
Et si on mettait plus de trains en service ? Excellent idée, faites votre marché : un Tgv Duplex (deux étages) : 25 millions d'euros ; un joli Ter tout neuf : 4 millions d'euros... Et si on créait une voie supplémentaire ? Hum, juste pour maintenir le réseau en l'état Réseau Ferré de France dépense 1,7 milliard d'euros par an et peine à trouver les 750 millions nécessaires pour changer ou moderniser des équipements... Construction d'une gare neuve : 9 millions d'euros pour Champagne-Ardenne. Continuer à progresser alors que le moindre boulon vous coûte un oeil est aussi un défi, et de trois !
Une culture d'entreprise, un esprit cheminot, des valeurs sociales
Pour être arrivée tardivement à la Sncf, la collégialité y est dépaysante... Tutoiement général, vie associative foisonnante, investissement syndical ô combien vivant, jargon ferroviaire mâtiné de verdeur virile, critique permanente et virulente en interne mais défense systématique et fervente à l'extérieur : il faut trouver le mode d'emploi ! Mais aussi, et surtout, une vraie préoccupation de l'autre, un soutien incroyable lors des coups durs personnels, un genre de famille qui ne s'impose pas mais qui dégaine si l'on a besoin d'elle... Dans le même temps, une entreprise qui embauche encore au niveau Brevet ; où l'on peut progresser aussi bien vers le haut, via des examens internes, que vers de nouveaux métiers, via des reconversions ; où la mixité sociale n'a pas attendu l'effet de mode ; où les origines raciales, religieuses, culturelles se côtoient plutôt harmonieusement... Pour la première fois de ma vie, la "collectivité nationale" n'est pas une notion abstraite mais une réalité : nous participons à des services, pour un immense public, à un service public ? Même si le sujet est vaste et évolue, nous faisons partie d'une entreprise dont les français se sentent propriétaires (exigeants d'ailleurs) et pour lesquels nous faisons souvent du mieux que nous pouvons. Et de douze !
Tout cela pourrait être vrai dans une autre entreprise, un autre secteur d'activité : alors ?
Alors, inexplicable, irrationnel, invraisemblable : le train...
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PS : il manque ici un mot vital : "sécurité", obsession professionnelle généralisée, sujet d'une chronique à part entière, à venir...
Magnifique tableau d'un esprit de famille dont j'ai fait un peu partie (puisque fils de cheminot) et dont je suis heureux de voir qu'il perdure... :~)
Rédigé par : Tant-Bourrin | 01 mars 2008 à 16:26
Sommes nous accro de la sncf ou du chemin de fer ?
Toi même, tu mélanges les deux.
Pourtant l'un ne veut plus obligatoirement dire l'autre.
Cette complexité qui fait qu'on ne peut se comprendre qu'entre gens de métier doit logiquement se retrouver chez les autres opérateurs et alors être base là aussi d'une famille.
Mon avis est que pour nous, la sncf est l'image même de ce qu'on voudrait que soit le pays : solidarité, mixité, ascenseur social pour qui s'en donne les moyens ...
Un système d'une rare complexité où malgré le nombre, chacun peut penser à un moment, que sans lui, tel ou tel train ne roulerait pas ce jour. Un système contradictoire où la responsabilité est tout à la fois diluée et personnelle.
Une machine qui laisse toujours l'impression que le fait même de fonctionner tient bien souvent du miracle permanent alors que tout y est 1000 fois prévu.
Une image du pays france telle une carte postale : contradictoire, multiple, complexe et malgré tout humaine.
Rédigé par : Nipou | 01 mars 2008 à 16:55
Que dire de l'addiction parfois retrouvée dans la famille ? Je suis moi-même fille, épouse, belle-fille, tante de cheminots et plus que fan de trains alors que je ne suis pas cheminote. Une explication ?
Rédigé par : Elodie | 02 mars 2008 à 02:36
Quel excellent condensé!quel esprit de synthèse!
Moi même j'y travaille et vous avez su résumer tout ce que je ressents confusément sans avoir encore réussi à l'exprimer tellement c'est complexe ; parfois quand même me "titille"un certain agacement devant une inertie très importante mélée à des changements incessants en ce moment pas toujours facile à vivre pour les agents!
Rédigé par : dom | 02 mars 2008 à 20:14
c'est avec la larme au yeux que je répond
Je me dis souvent que la sncf reste une entreprise, et que le chemin de fer en revanche est une histoire de famille. Les coups durs on les vie ensemble les joies aussi ne l'oublions pas
Alors pour être un cheminot il faut (je pense) être prés à faire face à toute éventualité et ne pas avoir peur d'être la pour ceux qui on était la avant nous
Alors gardons cette culture cheminote que je respecte depuis mon arrivé en 1997.
Merci ophise pour cette chronique qui encore une fois ma touché en te lisant.
Xav...............
Rédigé par : Xav | 02 mars 2008 à 23:05
Je suis simplement fille de cheminot mais complètement accro, j'ai tout fait pour y rentrer et tout est resté bloqué chez le chargé de carrière vers la gare st lazare... il m'a dit qu'il m'envoyait mon contrat de travail et je l'attend toujours. quand j'ai relancé il était parti à la retraite. Celle qui l'a remplacé m'a telephoné à mon boulot pour me dire qu'ils me prenaient et que j'allais recevoir le contrat; je l'attend toujours lui aussi!
Malgré tout ça, j'aime la SNCF (RH cadres mis à part donc!), je ne dors jamais aussi bien que dans une couchette, bercée par le roulis et anesthesiée par les odeurs corporelles!!!
J'au appris à lire sur "La vie du rail", les collègues de mon père étaient un peu de la famille, près à tout pour s'entraider.
Je suis super contente et émue de voir que cet esprit perdure malgré tout...
Rédigé par : vero81 | 04 mars 2008 à 10:02
J'adhère complètement avec vero81, bien que je trouve quand même que l'esprit se perd peu à peu. J'ai l'impression que parfois on est plus les uns contre les autres que les uns avec les autres, gestion par activités oblige, maintenant si tu vas demander un stylo à un collègue de l'infra il faut que ce soit écrit dans la comptabilité ... Je schématise un peu mais y'a de ça ...
Avant, pour l'emploi y'avait le choix et ceux qui choisissaient de rentrer dans une entreprise de chemin de fer le faisaient en connaissant la pénibilité du métier, des horaires et le salaire souvent moins élevé que dans le privé.
Aujourd'hui on ne peux plus se permettre de choisir, ce qui fait que certains bossent à la SNCF avec autant de passion qu'un cuisinier chez Mc Do.
Mais soyez rassurés, il y a encore une poignée de passionnés - d'origine ou qui ont attrapé le virus !
L'esprit cheminot c'est beaucoup avec les anciens que ça marche encore, moi aussi fils de cheminot je connais ça et j'espère que ça durera quand même.
Merci Ophise pour ton blog.
Rédigé par : Camino | 04 mars 2008 à 23:25
L'esprit cheminot existe aussi chez ceux que le train sous toutes ses formes passionne. Incroyable comme certains "pékins" en connaissent plus que nous sur les matériels et les infrastructures.
Rédigé par : pousse manette | 05 mars 2008 à 10:21
Je comprends le côté "grande famille" pour avoir eu une grand mère garde barrière, et le grand père cheminot également. Quand à mon ex-beau père cheminot aussi, il était bien accro de la SNCF. D'ailleurs même retraité on reste SNCF, ne lui parlez pas de long voyage en voiture ! Le train est là pour ça !
Rédigé par : Louisianne | 06 mars 2008 à 14:12
Pas étonnant que dans cette grande famille de cheminots et d'usagers, chacun dise "mon train" et s'inquiète de sa santé.
Rédigé par : Gwen | 07 mars 2008 à 23:13
Bonjour
Je suis petit fils, fils, frére, cousin, neveu de cheminots, bref, côté paternel, 98% de cheminots, moi même je suis cheminot depuis 2006, Commercial Trains pour être précis. Mais dans la famille, on a de tout. Mon pére est agent de conduite, mon frére chef de service, j'ai un cousin mécanicien en atelier, un autre dans la Police Ferroviaire, une cousine commerciale en gare... J'ai commencé par être saisonnier en escale deux étés durant. Il y'a vraiement une bonne ambiance dans cette entreprise; sans forcément dire que je suis descendant de cheminots, je me suis toujours trés bien entendu avec tout le monde, qui que ce soit, descendant de cheminots ou non. Il y'a de la place pour tous! Il y'a une trés bonne ambiance, nous sommes une grande famille. On se tutoie, d'ou que l'on soit, on s'embrasse tous, on forme une grande chaine de solidarité. Je suis un fervent défenseur de la SNCF; dans ma famille, on a connu la vapeur, le Mistral, on a vu naitre le Corail, le TGV, le Téoz, on a vu grandir les projets, bien des innovations, on a connu la guerre... On a connu des batailles, on les a gagnées... Je veux que ca dure. Je ne suis pas passionné de trains, j'apprécie, sans plus, le train, c'est génial, c'est une aventure qui a grandit! La SNCF aussi. Et ca continue. Merci pour cet article dans ton blog, c'est un joli "dessin".
Courage à toi chef de gare, je te repecte, mon grand pére en était un, mon grand frére est chef de service.
Rédigé par : SNCF junior | 10 mars 2008 à 11:02
He bien, chère Ophise, on y va... Pour moi 5 000 péquins qui se parlent pour faire rouler 1 TGV (et ils n'en font pas rouler qu'un seul ...) c'est une sacrée performance renouvelée 365 jours par an. Je sais bien qu'on parle de problème de communication entre cheminots mais ça ne marche pas si mal finalement ce mélange de vieillot et de moderne. Oui ! C'est complexe, attachant, énervant et fondamentalement important. "Touche pas à mon chemin de fer ! A bas la SNCF...." C'est un point de vue! Et il est vrai qu'aujourd'hui la SNCF n'est encore confrontée à personne (mais ca va changer !)
"Ils sont sympas vos TGV rouges" me déclairait quelqu'un récemment. Les TGV rouges sont des Thalys, un peu SNCF sur les bords quand même, comme les Eurostar,qui eux sont jaunes, comme les Alléo, qui parfois sont des ICE ....Sans doute y'a-t-il moyen de faire du chemin de fer encore mieux : il y a aussi certainement moyen de faire pire, plus cher, plus lent, plus inconfortable, plus désagréable, moins solidaire, moins compassionnel, moins responsable en un mot ...
T'as raison Ophise, je suis accro
Rédigé par : channel | 13 mars 2008 à 13:25
Je n'ai rien à voir avec les cheminots, mais j'ai toujours aimé le train (même si je ne le prends plus que très rarement) et admiré l'organisation de la SNCF pour que tout cela fonctionne. J'aime beaucoup cet article, c'est un bel hommage. Profitons-en avant que tout cela ne disparaisse dilué dans l'égoïsme et l'indifférence.
Rédigé par : Zibeline | 25 novembre 2008 à 23:23