Quand on y pense, c'est fou le nombre de sujets qui fâchent dans une gare... Comme nous ne sommes pas là uniquement pour nous faire plaisir, évoquons donc aujourd'hui le douloureux thème de l'information sur les retards : à savoir que ce n'est pas précisément ce que nous faisons de mieux mais que, encore une fois, c'est plus compliqué qu'il n'y paraît...
De l'estimation à la louche...
A votre disposition pour signaler l'infamie : le grand tableau des trains à l'arrivée (un clic de souris et paf "retard 40 minutes") ; les annonces sonores ("mesdames, messieurs, en raison des intempéries, des retards de 1 à 3 heures sont à prévoir") ; les tableaux d'information conjoncturelle (ça fait chic comme ça mais ce sont tout bêtement les panneaux à lettres rouges qui ne donnent jamais de bonnes nouvelles) ; les agents d'accueil (qu'il faudra eux-mêmes informer pour qu'ils puissent renseigner les personnes en gare). Ailleurs, au saint des saints de la Sncf, des collègues mettent à jour les informations sur le trafic du site internet infolignes. Ce ne sont donc pas les outils qui manquent. Non, non, ce qui manque cruellement c'est la durée exacte et fiable de ces fichus retards ! Malgré la technologie moderne... Les voies de chemin de fer sont parsemées de "balises" qui enregistrent le passage des trains - en les reconnaissant qui plus est - et en fournissant les minutes de retard par rapport à l'horaire théorique : jusque là vous êtes donc parfaitement au point. Le problème est que la technique ne fournit qu'un instantané et n'est pas à même de vous dire combien le train va prendre de retard. Je m'explique : sachant que le train xxxx est en panne depuis 35 minutes et que ses voyageurs vont être transbordés dans le train suivant, combien de temps sera nécessaire au transfert et combien d'heures de retard auront : 1/ les passagers du train en panne ; 2/ ceux du train de secours et 3/ les clients des trains bloqués derrière les deux premiers... Vous avez cinq minutes avant que je ne ramasse les copies ! Cela dit, l'exercice ne sera pas tout à fait le même selon l'endroit où se produisent les causes de retard...
Retards à l'arrivée
La tuile n'est pas tombée chez vous mais à l'autre bout de la ligne ou quelque part sur le trajet : peu importe vous avez le devoir, dûment inscrit dans vos objectifs annuels, de faire passer l'information dans votre gare... Compte-tenu des incertitudes exprimées ci-dessus, vous allez essayer d'afficher un retard "raisonnable" quite à revoir vos estimations à la hausse si la situation se complique. Attention, il ne s'agit pas d'y aller trop raisonnablement non plus : si vous tapez trop bas et devez augmenter le retard au fil des heures, les personnes attendant des voyageurs en gare vont le prendre de plus en plus mal et l'ambiance va franchement se gâter pour vos agents... Dans le même temps, hors de question d'être trop généreux : d'aucuns voyant qu'ils ont deux heures devant eux vont aller faire trois courses et ne seront pas là pour accueillir leurs proches si le train déboule entre temps... Il va donc falloir jongler d'autant que tous ces trains qui n'arrivent pas chez vous vont cruellement vous manquer pour tous ceux qui font des demi-tours et que, ça y est, vous devez commencer à évaluer aussi les inévitables conséquences sur les départs...
Retards au départ
Là, logiquement, le problème se pose chez vous, vous devriez donc être en mesure de savoir précisément quel retard vont prendre vos trains. Hélas... Si l'on oublie le cas des demi-tours retardés, la majorité des soucis vont être techniques : par exemple, les collègues du Matériel interviennent sur la rame et ne sont pas en mesure de vous dire combien de temps va prendre la réparation. Plusieurs écoles de chefs de gare s'affrontent alors : ceux qui vont afficher un retard le plus court possible et ceux qui vont voir plus large. La règle absolue au départ est "retard affiché, retard respecté" : le train ne partira pas - même si il est prêt - avant le délai supplémentaire que vous avez annoncé à vos clients. Dans la série qui fait désordre il n'y aurait rien de pire que de devoir expliquer à des voyageurs partis acheter un sandwich ou une revue sur la foi de vos informations que, finalement, on a pu faire partir leur train plus tôt... sans eux ! Donc, on se tient à ce que l'on a dit. Ceux à qui cela brise le coeur de retenir un train tout prêt en gare afficheront des "petits" retards avec l'inconvénient majeur de parfois devoir les augmenter de 10 minutes en 10 minutes mais l'atout de conserver tout le monde "sous le coude" (sous le panneau) ce qui facilite l'embarquement général au moment clé... Ceux qui pratiquent l'affichage de retards plus généreux facilitent un peu la vie des voyageurs qui peuvent s'octroyer plus de liberté (pause café, achats, ...) mais prennent le risque d'en perdre en route puisque moins vigilants sur l'affichage de la voie... On prendra en compte les conditions climatiques (froid de canard + pas de salle d'attente chauffée = affichages de retards permettant aux clients d'aller se réchauffer dans les cafés) et les autres trains à faire partir. En effet, le comble est que, dans les grandes gares où certaines destinations sont desservies toutes les heures, le retard d'un train va vous obliger à mettre les autres en rade : impossible d'afficher le train de 19h si celui de 18h n'est pas parti !!! Risque de prise d'assaut façon western tout à fait déplacée...
Tout ceci pour dire que, décidément, dans ce système industriel, technique et pointu du ferroviaire il est encore des sciences imprécises...
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Excelent blog, que j'ai découvert il y a peu et que je relis avec un intérêt toujours renouvelé: vous réussissez magnifiquement à expliquer quelques fonctionnements ferroviaires invisibles d'habitude. En congé en ce moment, j'ai d'ailleurs eu l'occasion de vivre certaines situations, et à chaque fois, j'ai une pensé pour vous et vos collègues... continuez longtemps à nous parler de votre métier!
Rédigé par : javi | 14 mai 2007 à 01:57
Argh, je comprends mieux le dilemme. Je compatis, tout ceci ressemble bougrement à un numéro de jonglage du cirque Pinder ! :~)
Rédigé par : Tant-Bourrin | 14 mai 2007 à 05:52
Il y a peu j'ai pensé à vous...
Prise du TGV, je voyage rarement en train, un jeune homme fume dans le couloir, une personne se plaint, il refuse d'écraser sa cigarette, les contrôleurs interviennent, le ton monte, le passager est monté sans ticket, il est agressif avec les contrôleurs, décision est prise de le débarquer sous escorte policière à Poitiers... Le temps de faire le rapport de police etc le train prends du retard, ma correspondance Gare du Nord n'a pas supportée les 45 minutes de décalage, j'ai vu les feu arrière de mon train partir lorsque j'arrivais au niveau de sa voie... Heureusement que j'avais pu ne prendre que l'avant dernier train pour ma destination finale, un agent SNCF m'a gentiment expliqué que je n'avais qu'à prendre le suivant sans réservation, pas de souci de billet et hop le tour est joué, on a même eu un pack distraction pour ma fille de 4 ans qui venait de faire connaissance avec le métro parisien aux heures de pointe et à la course ;)
Durant ces péripéties bien palichones je me disait qu'il devait y avoir un ou plusieurs chef de gare qui devait s'arracher les cheveux à cause des décalages horaires ;)
Rédigé par : Altaïr - Cécile | 14 mai 2007 à 16:53
Il est vrai que le nombre de paramètres à prendre en compte est important. Par contre le sourire en coin est toujours présent quand au bout de 5min on voit s'afficher "retard: 5mn", puis au bout de 5min supplémentaire "retard 10mn".
Pour les abonnés Grandes Lignes, dont je suis, il est vrai aussi que nous avons l'habitude et que quand il est question de travail, les gens sont sur les dents.
D'ailleurs je pense que la gestion des abonnés travailleurs doit-être à part!! Peut-être un sujet de post????
Rédigé par : baba | 15 mai 2007 à 11:53
Merci Ophise, toujours très instructif
Rédigé par : mamazon | 15 mai 2007 à 14:26
J'ai eu l'occasion ou la mal chance d'être présent 2 fois dans une grande gare parisienne alors que la situation était critique : un suicide en sortie de gare et une alerte à la bombe sur la ligne à grande vitesse. La première situation perturbée, nous avions des estimations de retard au départ. Bien sur cela changeait régulièrement mais j'avais l'impression que des "chefs de gare" tentaient de gérer la situation... La deuxième fois, nous avions seulement comme information retard indeterminé... Rien à quoi se raccrocher... Pas une seule lueure d'espoir, pas d'information à transmettre à nos familles...
Je préfère donc avoir des informations même si elles évoluent que ce fameux retard indeterminé...
A bientôt sur vos lignes...
Rédigé par : Roux | 15 mai 2007 à 17:43
Et bien sûr que c'est le casse-tête, les crochets dits "courts", pour un chef de gare, avec des trains qu'on sait ne pas pouvoir faire partir à l'heure puisqu'ils ne sont pas arrivés.... Avec des panneaux "infos lignes" qui changent sans prévenir ...le chef de gare, précisément. Y'a aussi le 36 35, numéro de téléphone magique qui raconte des trucs aux voyageurs : ne pas hésiter à le consulter ! Et puis y'a aussi les portables pour ceux qui attendent quelqu'un : ils en savent parfois plus long que le chef de gare sur l'aventure du train.
Ce n'est pas facile d'informer les voyageurs en temps réel mais à tout prendre, mieux vaut une information "fluctuante" que pas d'infos du tout.
Rédigé par : channel | 16 mai 2007 à 19:01
@ tout le monde : week-end du pont de l'ascension... je crains le pire et penserais à ici en estimant les (éventuels) retards là-bas... !
Rédigé par : ophise | 18 mai 2007 à 09:09
Je lis ce billet en retard... Pour avoir beaucoup pris le train entre 17 et 25 ans, je dois dire que les retards, finalement, c'est pas si souvent. Parfois même, bizarrement, on est stoppé en rase campagne pendant dix minutes et on arrive à l'heure quand même. Pas simple, la communication de gestion de crise...
Rédigé par : Gwen | 18 mai 2007 à 11:10
Mais tous ces retards, ils viennent d'où ?
C'est bien mignon de nous donner des exemples mais je ne les reconnais pas ou peu.
Car soyons franc, les retards ont majoritairement pour origine le voyageur. Celui là même qui hier était scandalisé et criait a la nullité de la sncf, et bien aujourd'hui il a une poussette et des bagages à bouger.
L'arrêt prévu d'une demie minute se transforme en 4 minutes.
Pour des raisons de sécurité bien complexe à expliquer ici, le train se doit de repartir en vitesse lente, qui génère un retard de plus.
Les 4 minutes sont devenus 6. Et d'un coup, tout ce concert bien réglé sur papier s'effondre. Les trains ne sont plus dans leur "sillon" et l'embouteillage est là, à l'entrée de la gare. Les correspondances attendent, le retard devient multiple.
C'est tout un système qui s'écroule. Ce même voyageur qui hier hurlait est aujourd'hui cause.
Prenez ce simple exemple réel car déjà de nombreuses fois vécu, multipliez le par autant de voyageurs et vous obtenez des retards répétés qui stress voyageurs et employés.
Alors oui, il arrive bien entendu que la sncf génère ses propres retards mais croyez moi, c'est loin d'être la majorité des cas.
Dès que le retard est là, sous nos yeux, le retard premier, le controleur vient aux nouvelles auprès du conducteur : "alors, combien à l'arrivée ?"
LA question ! Comment savoir, comment prédir ce qui va encore arriver, comment le renseigner et par déclinaison l'ensemble des voyageurs alors que je ne suis que poussière d'un système global ?
La solution ? donner un ordre d'idée en intégrant la suite, cette suite imprévisible mais dont on se doute qu'elle ne peut nous éviter.
Et ce régulateur, celui là même qui va renseigner les gares (et donc les voyageurs), quoi lui dire ?
Beaucoup de responsabilités sur un seul homme. Et par là dessus, ce retard, il va falloir chercher à le rattrapper, donc rouler au maxi, ne plus rien anticiper mais au contraire subir et réagir.
Tout ça pour une poussette.
Tout ça tous les jours ou presque.
Rédigé par : Nipou | 19 mai 2007 à 02:05
Euh à vrai dire, le problème avec les retards, c'est pas l'information sur les retards ; ce sont les retards !
Bon j'avoue, moi, souvent, les retards au départ m'arrange, étant souvent euh ... en retard. Mais y'en a jamais quand je suis à la bourre, et toujours quand je suis en avance. Krop inzuste. Mais dans tous les cas, je préfère quand on met une heure de moins que prévu. Bon, ok, ça n'est jamais arrivé encore.
Rédigé par : Fañch | 20 mai 2007 à 23:29
La case "ne sait pas combien de retard" n'est pas prévue, ni celle "une fourchette de" et encore moins "partez acheter votre sandwich au risque de changement de retard...". C'est bien significatif d'une réponse à apporter à tout prix pour satisfaire les critères de qualité qui se basent sur le commercial et non sur la qualité du service offert.
Mais comme le dit quelqu'un plus haut, les gros gros retards ne sont pas fréquents, heureusement.
Rédigé par : pousse manette | 21 mai 2007 à 10:35
J'en profite pour poser une nouvelle question: quand il y a des travaux sur une ligne, travaux qui impliquent un retard assez systématique, pourquoi l'horaire n'est-il pas simplement modifié?
J'ai eu le cas en rentrant dans ma famille récemment: la ligne est en train d'être refaite (gros travaux de BTP en cours pour au moins 6 mois) et impliquent un retard de 15min systématique lors du passage des trains...
Il me semble que figer le retard dans l'horaire serait ici positif, non? Comment les horaires sont-ils choisis?
Rédigé par : javi | 27 mai 2007 à 23:32
Attendre le Nantes-Lyon (ligne à retard systématique, il suffit de le savoir) à Saincaize, en hiver, offre de beaux moments de méditation. Dis, Ophise, quand est-ce que tu fais un article sur les corails de nuit, ces lignes qui disparaissent avec le TGV?
Rédigé par : Jura(Sic) | 29 mai 2007 à 00:05
@ javi : ah ben cela devrait être le cas !!! Par chez nous, les retards pour travaux sont affichés et annoncés (arrivée 17h32 au lieu de 16h45 par exemple) même pour 15 jours... Bizarre...
@ jura(sic) : aaaaaaaah le Nantes Lyon... un des rares survivants des "transversaux" Corail... l'exemple même du pur "cabotage" (les voyageurs faisant le bout à bout doivent au moins... 10 ???), bref le train qui va pas bien quoi ! (mais je croyais que tu te téléportais via âne toi ???)
Sinon les Corail de nuit ne disparaissent pas tant que ça, ils ont leurs habitués, leurs fidèles, ... même qu'on les appelle des "lunéa" ! Le truc c'est que je n'ai pas de train de nuit dans ma gare ! - je réfléchis... non ça va ce n'est pas un indice :)
Rédigé par : ophise | 29 mai 2007 à 14:47
Le Nantes-Lyon, le symbole même des services qui disparaissent, symbole aussi de ceux qui luttent pour un certain chemin de fer. le symbole aussi de territoires si beaux et qui du coup se retrouvent isolés (Limousin en particulier). Il n'y a plus grand monde, alors "on" s'en fiche....et que pousse la friche...( elle est mauvaise, je l'admet )
Fabrice
Rédigé par : Fabr | 12 juin 2007 à 13:06