A chacun son truc et sa vision personnelle du summum de sa profession, pour moi créer de toutes pièces un train supplémentaire reste un "must"... Evidemment, cela ne se fait pas tous les jours et il faut de sérieuses raisons pour en arriver là. L'on citera en exemple l'affluence de voyageurs ou, rarissime, la vente de billets pour un train qui n'existe pas (!) avec, dans les deux cas, une cohorte de clients en règle qui veulent partir et pour lesquels il va falloir faire quelque chose dans les deux heures à venir ! Alors que le moindre train est en général prévu de longs mois à l'avance, le chef de gare va pouvoir exprimer là toute sa créativité pour peu qu'il ait du goût pour les casse-tête...
Trouver un train
Pour plus de facilité nous retiendrons l'exemple d'un Tgv (pour les trains classiques prévoir deux fois plus de travail sachant qu'il faut trouver des voitures ET une locomotive). Votre gare est pleine de rames, le chantier (garage) à proximité aussi, il suffit donc de mettre la main sur un train - propre de préférence - qui n'a rien de prévu dans les heures qui viennent. Bien. Prévoir que ses toilettes aient été vidées moins de 72 heures auparavant (délai incompressible de vidange des cuves). Jouable. S'assurer que son kilométrage lui permet de couvrir le parcours que vous envisagez avant son retour à l'atelier (comme les voitures, les trains ont des visites obligatoires tous les x xxx kilomètres). Ca peut se faire. Si toutes ces conditions sont remplies, vérifier que la date limite (les visites obligatoires sont basées soit sur le kilométrage, soit en nombre de jours eh eh) est encore bonne... Voilà. Trouver un conducteur pour amener la rame en gare si elle était au garage : ça c'est fait !
Mettre la main sur un conducteur
Malgré le nombre hallucinant de cheminots (humour), le conducteur de train est une denrée rare. Enfin, entendons-nous bien : le conducteur disponible car leur planning est soigneusement préparé à l'avance (aller-retour, repos, ...). Vous avez toutefois une "réserve" à disposition : un conducteur qui est précisément programmé pour rester à disposition toute la journée et partir au pied levé si besoin. Pour peu qu'il connaisse la ligne de chemin de fer sur laquelle vous voulez envoyer votre train supplémentaire vous avez gagné. Sinon, il va falloir chercher l'oiseau rare soit un "mécano" n'ayant pas de voyage prévu, n'ayant pas dépassé son nombre d'heures de service (11h maximum en gros) par jour et habilité à circuler là où vous voulez l'expédier (car les conducteurs doivent non seulement connaître le matériel mais également les spécificités de la voie et des installations). Allez, c'est votre jour de chance, passons à l'étape suivante !
Compléter avec les contrôleurs
Eh oui... pas de contrôleur, pas de Tgv ! Non point pour aller vérifier les billets des voyageurs et éventuellement verbaliser mais pour assurer la sécurité des voyageurs, sa première mission ! En cas de pépin sur la ligne, de panne, de malaise d'un voyageur, d'accident, ... c'est le contrôleur qui interviendra ; donc : trouver un contrôleur (en cas de Duplex, Tgv à deux étages, deux contrôleurs, c'est comme ça...). Même motif et même punition que pour les conducteurs : ils doivent être disponibles, ne pas avoir dépasser un certain nombre d'heures de travail, connaître le matériel et les lignes... Si vous n'arrivez pas à trouver votre bonheur, vous pouvez toujours faire appel à des cadres "habilités" pour accompagner votre train : pas très bien vu mais efficace.
Demander la permission et un horaire
Attention, nous ne sommes pas dans le politiquement correct : il aurait fallu commencer par là ! Mais l'expérience prouve que vous serez mieux reçue en proposant votre joli train au complet (matériel, conducteur, contrôleur) alors vous appelez les instances supérieures pour faire votre offre de train "prêt à partir" et là... il va falloir attendre que l'on trouve une petite place pour le faire rouler. Sur certaines lignes à grande vitesse, les trains se succèdent à 3 minutes les uns des autres aux heures de pointe : difficile d'en insérer un à la "va comme je te pousse". Cela demande quelques études et calculs : les hommes de l'art s'y attellent. L'exercice sortant un peu tout le monde de sa routine, on vous trouve en général un horaire ainsi que - top du top - un numéro de train (puisqu'il n'existait pas il faut bien lui en attribuer un).
Voilà... le temps que tout cela se retrouve en gare, que l'on pancarte le train (affichage des numéros de voitures et de la destination), qu'on l'affiche sur le tableau des départs et votre "bébé" sera devenu un train normal à faire partir à l'heure inventée pour lui... La pression va retomber mais quelle bonne journée : un train ça ne s'invente pas comme ça et vous n'êtes pas à moitié fière d'avoir réussi ce coup-là !
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Illustration : copyright wikipedia
Après avoir lu vos textes, j'ai l'impression que la vie d'une chef de gare peut se résumer (enfin, façon de parler) à une série de prouesse en vue de gérer des imprévus en pagaille. Quelle énergie et quelle volonté il doit falloir ! Et quel dommage que les voyageurs le réalisent si peu en général !
P.S: Par pure curiosité, combien de fois avez-vous dû co-ordonner organisation impromptue d’un train supplémentaire?
Rédigé par : Grimms | 05 mars 2007 à 20:55
Wow ! Je suis de plus en plus impressionné à chaque billet pour les prouesses à réaliser pour que tout roule bien ! On est bien loin du train-train quotidien ! :~)
Rédigé par : Tant-Bourrin | 05 mars 2007 à 21:06
après un tel accouchement, je crois que ce n'est pas un numéro qu'il faut donner à ce train, mais bel et bien un prénom :)
Rédigé par : a n g e l | 05 mars 2007 à 22:09
@ grimms : ouh c'est très rare mais c'est un peu ma "personnal touch" car j'en ai fait 2 sur les deux derniers mois (sur une très courte vie de chef de gare...). Quand au côté "force obscure" qui travaille en coulisses... eh bien oui on remet tous les jours l'ouvrage sur le métier (mais il y a des jours tranquilles !!!)
@ TB : c'est bien ce qui me motive ici ! Incroyable non l'énergie qu'il faut déployer pour faire rouler un truc aussi banal qu'un train... ????
@ Angel : biche ô ma biche, il faut vraiment que tu lèves le pied sur les délivrances là (hihi)
Rédigé par : ophise | 05 mars 2007 à 22:31
je n'ai pas bien compris en combien de temps tout cela se passe...Une semaine ou une journée ?
Sinon, comme les autres, j'admire le travail...Celui de cheminot, mais aussi celui d'écriture !
Rédigé par : sel | 06 mars 2007 à 12:17
Hou mais ça devient moderne q:^) ! J'en étais resté à "ne pas aller aux toilettes dans les gares" ! Vous avez des cuves maintenant ? C'est un sujet de billet, ça... q:^)
Rédigé par : Saoulfifre | 06 mars 2007 à 23:04
@ Sel : j'avais oublié de préciser donc je l'ai rajouté dans le texte. Disons qu'il faut assurer la chose en deux-trois heures maximum (sinon autant les tasser dans les trains suivants avec un chausse-pieds !!! je rigoooole !!!)
@ Saoul-Fifre : ah mon cher il va falloir remettre sa culture "toilettes ferroviaires" à jour : c'est qu'à 300 km/h on ne peut plus se permettre le joli petit trou qui donne directement sur la voie sinon ... hum ... comment dire... retour à l'envoyeur ???
Rédigé par : ophise | 06 mars 2007 à 23:18
C'est toujours un régal de vous lire ! Ces TGV ont décidément beaucoup à nous apprendre ! ;-)
Rédigé par : dansletgv.com | 07 mars 2007 à 08:37
En plus d'être très sympa à lire, tu décris de façon ludique la complexité du système ferrovaire.
Ca fait vraiment plaisir de voir les autres commentaires de personnes, qui à travers ces récits, entrevoient la complexité de la gestion ferroviaire.
Amicalement,
Dalla.
Rédigé par : Dalla | 09 mars 2007 à 16:52
Quand nous racontes-tu "le crime du TGV 608" ? : )
Rédigé par : manou | 10 mars 2007 à 11:01
Salut Ophise!
Maintenant que me voilà tractionnaire, j'attends le jour ou dans les situations que tu décris, je me retrouverai dépêché au pied levé pour assurer un train auquel tu donnera le départ.
Pour rien au monde je ne voudrais me retrouver à ta place. Courage et à très bientôt!
BB
Rédigé par : Sylvain | 31 mars 2007 à 13:16
A la lecture de ce blog je relativise mes (més)aventures avec la sncf... Comme quoi il est intéressant d'avoir les deux points de vue... Ca me rappelle la fois où ils y avait trop de passagers pour que le train ne parte et que personne ne voulait descendre, les portes ne fermaient même plus... Nous avons attendu 1h qu'un bus prenne le relais, je comprends maintenant pourquoi et cela me fait rire! ;-)
Rédigé par : isabella | 19 septembre 2007 à 16:45
Je viens de découvrir ce blog et franchement, je suis épatée! Je me doutais bien qu'il y avait beaucoup de travail en coulisses mais je ne savais pas qu'on pouvait "inventer" des trains.
En tout cas félicitations pour ce blog très bien écrit. J'adore découvrir le travail des autres, il y a toujours plein de choses qu'on n'imagine même pas!
Rédigé par : | 23 octobre 2008 à 17:19