Bleue, blanche ou grise, campée sur un crâne blond, brun ou chenu, parfois dégarni... pourvu qu'elle soit portée dans une gare, la casquette est un signe ostentatoire d'appartenance à la Sncf ! Malgré les tentatives pour marquer les différences entre les métiers, grâce à la couleur de la fameuse casquette*, les voyageurs n'y voient qu'une chose : un couvre-chef de ralliement pour tous ceux qui ont besoin d'aide. Ce qui va entraîner un certain nombre d'exercices pour l'heureux "casquetté" :
Essayer de répondre à une invraisemblable liste de requêtes
La question la plus fréquente porte sur la voie de départ du train qui est, normalement, affichée 20 minutes au minimum avant le départ. A priori, c'est une requête raisonnable mais pas toujours si facile à renseigner car - si par malheur - vous êtes loin du tableau d'affichage des départs, faute d'un ordinateur portable reprenant les informations ou du regard transperçant de Superman, vous serez bien en peine de répondre et devrez renvoyer le voyageur vers le dit tableau ou vers les bureaux d'accueil. Votre image en prend en coup : vous ne connaissez pas par coeur toutes les voies de départ de tous les trains du jour !
Dans le top 10, on trouve ensuite la recherche des trains à l'arrivée (voir ci-dessus en remplaçant "départs" par "arrivées"), des consignes (toujours recherchées par des voyageurs lourdement chargés mais systématiquement perdus à l'autre bout de la gare), des taxis (idem), des toilettes (toujours urgent...), des distributeurs d'argent (inexistants dans la gare), des guichets de vente, des chariots à bagages (denrée rarissime et volatile malgré des commandes phénoménales, objet de contre-bande entre les gares parisiennes), ...
Plus distrayantes mais beaucoup plus rares, les demandes insolites que l'on se racontera à la fin du service : où trouver de toute urgence une bijouterie (anniversaire de mariage oublié : la survie d'un couple va dépendre de votre connaissance du quartier) ; ou acheter ... (là, la cliente étrangère vous tend un petit papier où une âme compatissante lui a transcrit le mot français pour des accessoires hygièniques typiquement féminins - tout le monde prend l'air dégagé merci) ; où retrouver une contre-basse égarée (??!!) ; mais je vais continuer à noter pour en faire un sujet à part entière.
Savoir traverser une gare incognito
Du fait du port de la casquette, il est déraisonnable d'envisager de traverser la gare rapidement en cas d'urgence : vous serez alpagué, harponné, arrêté pour aider vos voyageurs confrontés aux soucis cités plus haut. Chacun met donc au point ses propres trucs pour "passer au travers". Le tour par l'extérieur de la gare à ses partisans, c'est une technique efficace par beau temps mais à oublier dès l'automne. On peut tenter le passage en force : pas pressé, regard fixé au sol et surdité soudaine aux appels des clients : résultats satisfaisants mais attitude commerciale contestable. J'ai testé la version "grandes enjambées, radio - braillante - collée à l'oreille, le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges et l'air concentré" : méthode performante qui inspire le respect mais il y a mieux encore... Car la vraie, bonne et unique solution pour tracer son chemin en situation perturbée consiste à... coincer sa casquette sous son bras !!! Incorrect vis-à-vis de nos obligations de "port de la tenue" mais imparable !!!
Accepter de ne plus exister en tant qu'individu
Corollaire du point précédent : la casquette fait la femme ! Sans elle, vous êtes invisible comme agent, avec elle vous êtes invisible comme individu.
Totalement surprenant ! Des amis de 20 ans vous regardent interloqués, l'oeil vitreux et ne vous remettent pas tant que vous n'enlevez pas la chose... Dans l'autre sens, vous n'êtes plus un être humain mais une incarnation de la Sncf dans sa splendeur et ses misères. C'est un phénomène bien connu et bien décrit, mais il faut le vivre pour le croire.
Deux bémols à la cécité générale : les personnes qui précisent malgré leur courroux souvent justifié que "ce n'est pas votre faute" ou "je ne vous en veux pas personnellement" (merci !!!) et, grivoiserie franchouillarde oblige, les voyageurs de sexe masculin qui semblent encore tout à fait capables de déceler (et de déshabiller des yeux) un corps féminin sous une casquette...
Pour conclure...
Un regret : si, aux yeux du grand public, un cheminot est un cheminot peu importe la couleur de sa gapette. l'idée n'a pas encore fait son chemin dans toutes les têtes coiffées... Qui dira le désarroi d'être renvoyé de casquettes en casquettes parce que "suis pas contrôleur !!!", "allez voir l'accueil", "m'occupe des départs moi madame pas des toilettes !" ???... Collègues à visière, je n'ai pas de conseils à vous donner mais...
* casquette bleue pour les agents d'accueil, blanche pour les agents qui s'occupent de la sécurité ferroviaire et grise pour les agents du service commercial des trains (les contrôleurs).
Avec ou sans casquette, suivez la femme ! Bien littéraire cette chronique d'une chef de gare… et drôlatique. Microcosme, quand tu nous tiens…
Rédigé par : isadel | 19 septembre 2006 à 15:25
Quelle mise en appétit réussie ! J'ai hâte de lire la suite...
Rédigé par : traversière | 22 septembre 2006 à 13:23
A noter : tout les agents n'ont pas de casquette : bien entendu seuls les gens aillant une relation avec les clients en sont dotés.
Cependant, un conducteur, en civil donc, est lui aussi exposé au mêmes contraintes (bien que d'une moindre amplitude).
Sachez qu'un voyageur en période normale (hors vacances) est bien souvent un habitué et à donc acquis une singulière capacité à repérer qui du sac à dos spécial conducteur, qui de la personne marchant dans une gare comme chez lui ....
Oui, ces personnes savent très bien nous reconnaître et venir nous demander des raisons de trains en retard, des voies ou pire, des correspondances (imaginez le malaise pour un conducteur qui par définition n'est que de passage dans ce lieu).
Rédigé par : Nipou | 12 novembre 2006 à 20:50
D'accord avec mon collègue conducteur Nipou ! J'ai bien aimer l'article et suis désolé si mon post ne sert à rien mais j'avais envie de le dire.
Rédigé par : mr.burns | 27 juin 2007 à 23:48